Ce samedi 7 juin a été inaugurée l’exposition « Georges Mathieu, vers l’abstraction lyrique » au Château-Musée de Boulogne-sur-Mer en présence de Mireille Hingrez-Céréda, maire de Boulogne-sur-Mer, de Céline Ramio, directrice du Musée et commissaire de l’exposition, de Patrick Dréhan, conseiller municipal délégué à la Culture jusqu’alors, de Régine Splingard, adjointe au Maire reprenant désormais la délégation aux affaires culturelles, et d’Edouard Lombard, beau-fils de l’artiste.
L’exposition, qui est ouverte au public jusqu’au 29 septembre 2014, montre pour la première fois le travail précurseur réalisé par Georges Mathieu de 1947 à 1951 et la création du mouvement de l’abstraction lyrique au travers notamment des premières périodes de l’artiste (les limbes, la genèse, l’incarnation). 35 œuvres originales de Georges Mathieu y sont présentées ainsi que celles de ses contemporains : Wols, Bryen, Soulages, Zao Wou-ki, de Staël… Céline Ramio a pu les réunir grâce au concours de Marika Mathieu, veuve de l’artiste, ainsi que celui de collectionneurs privés (Fondation Gandur pour l’Art) et publics (centre Georges Pompidou, FRAC Picardie, Bourgogne ; musée des Beaux-Arts de Lille, de Nantes, de Meudon ; LAC de Dunkerque).
L’inauguration a permis de dévoiler un tableau floral (cf. photo) réalisé sur le modèle d’une toile de Georges Mathieu, « Assassinat du Connétable de Clisson » (1957), par le service des espaces verts de Boulogne-sur-Mer qui avait déjà réalisé en 1992 une réplique de « Cast » (1964) à l’aide de 54.000 bégonias disposés au pied des remparts de la ville. Selon le jardinier en chef du service municipal, la floraison du tableau transformera le vert en rouge et le rouge en noir, permettant de restituer les couleurs originelles.
Un diaporama de photographies de l’exposition est publié sur le site de la Voix du Nord.
Le nom de l’exposition a été choisi en référence à l’exposition manifeste de 1947, initialement nommée « Vers l’Abstraction lyrique » par Georges Mathieu, mais qui s’intitulera finalement « L’imaginaire ». Dans le texte suivant, Georges Mathieu nous raconte le contexte de cette exposition marquant le coup de départ officiel de l’Abstraction lyrique.
C’en est trop. Je décide de mettre immédiatement à exécution mon projet : réunir tout ce que j’estime constituer ce qu’il y a de plus vivant, rassembler les œuvres dans une exposition et les présenter en les situant historiquement, c’est-à-dire en révélant comment et pourquoi cette peinture qui naît n’a rien à voir avec ce qui continue d’être montré comme contemporain. J’en parle à Bryen qui expose alors quelques dessins à la Galerie du Luxembourg et nous convenons de soumettre ce projet à Eva Philippe qui dirige la Galerie. Elle accepte volontiers. Je songe tout d’abord à inviter Hartung (mais sans Schneider), Atlan — que je vois presque tous les jours, à l’époque, et avec qui j’ai de longues conversations jusqu’à quatre heures du matin parfois — et naturellement Wols. Bryen propose d’ajouter Arp à cette liste. Ils viennent de faire ensemble une exposition l’année précédente à Bâle. J’y consens, bien qu’il ne s’agisse pas là d’une valeur nouvelle ; par son passé dada et par ses recherches présentes, Arp témoigne d’un intérêt pour la création pure et ne se soumet à aucun système esthétique, ni plastique, ni moral. Son œuvre, émanation directe d’un don de création organique, le situe bien en dehors des académismes géométrisant ou surréalisant, et il se trouve là bien parent de l’esprit des dessins et aquarelles de Bryen qui, eux aussi, ne relèvent que de critères d’existence. Position dangereuse certes et qui constituera ma divergence de vue majeure avec Bryen, à savoir que pour moi les critères de qualité comptent.
Mais, pour l’instant, l’essentiel est de rassembler ceux qui représentent la liberté la plus totale, la plus absolue, vis-à-vis des théories, en face de tous ceux chez lesquels l’on trouve des traces de cubisme, de constructivisme, de néo-plasticisme, de surréalisme.
Nous invitons enfin Riopelle et son compatriote Leduc, curieux précurseur dont, très injustement, l’on n’entendra que peu parler par la suite. Je demande alors à J.-J. Marchand d’écrire un texte de présentation. Il est d’accord sur le principe et me prie de lui soumettre la liste définitive des participants. Eva Philippe a en effet l’intention d’y joindre Ubac, Vulliamy et Brauner et aussi Solier ! Cet apport risque de dénaturer un peu la pureté du groupe. Finalement et pour des raisons plus extérieures encore, l’on ajoute un petit dessin de Picasso, soi-disant non figuratif ! J’obtiens le texte de Marchand qui, lui, rajoute, de son côté, un tout jeune peintre qu’il défend : Verroust.
Nous sommes donc quatorze. Enfin le titre « Vers l’Abstraction lyrique» est remplacé à la dernière minute par « L’Imaginaire » qu’Eva Philippe trouve plus joli : autre concession que j’accepte, l’expression « Abstractivisme lyrique » étant incluse dans le texte. Le vernissage a lieu le 16 décembre. En dehors des commentaires insignifiants auxquels l’on pouvait s’attendre (Estienne, Denys Chevalier, etc.), Pierre Descargues donne un long compte rendu dans Arts. Il écrit notamment :
« Il y a peu d’expositions qui aient un sens. Celle-ci en possède un. Elle montre que ce qui dans l’abstraction se défend de s’appuyer sur les règles plastiques (!), au contraire est un chant pur de la poésie donnée à ce qui pouvait en paraître le plus démuni… Il ne faut pas chercher à aborder ces œuvres par les « ismes » ; ni automatisme, ni surréalisme ne serviront d’aide. Il faut regarder cette peinture sur les pointes ; ces œuvres qui n’ont pas de fin qui semblent un œil, un regard, une curiosité de la nature, tâcher d’en saisir l’énigme. »
Clara Malraux, de son côté, y consacre toute une partie de sa chronique dans la Nef (n° 39, février 1948). Enfin, C. Donell dans Réforme écrit :
« Une des expositions les plus intéressantes qu’il nous soit donné de voir en ce moment. Chacun des peintres qui exposent ici a son style propre, mais on découvre dans cette peinture abstraite, sous des aspects encore insolites, une tendance générale vers un lyrisme pur, dégagé de toutes contraintes, qui évoque des mondes énigmatiques, d’une poésie un peu inquiétante. » (Brauner, Bryen, Mathieu.)
Le premier coup était donné contre le formalisme géométrique. L’Abstraction Lyrique était née.