Mathieu et Tapié, 1948-1958 : une décennie d’aventure

Tout est à refaire

C’est au sortir de la guerre, au temps d’une libération et d’une reconstruction qui s’étendra à l’expression picturale, que Georges Mathieu et Michel Tapié ont œuvré de concert à la reconnaissance d’un nouvel art. Celui-ci, bien que revêtant des terminologies variées selon leur promoteur — abstraction lyrique[1], informel, art autre, tachisme — pouvait se définir par une même volonté de redéfinir les possibles au-delà des frontières déjà explorées par le cubisme, le surréalisme et l’abstractivisme géométrique, par un désir de s’exprimer à travers « une langue inconnue »[2], libérée de tout déterminisme ou formalisme, fussent-ils abstraits. Si la collaboration de Mathieu et Tapié n’a démarré qu’en 1948, c’est l’année précédente qui recèle les prémices de ce projet audacieux.

Georges Mathieu sort foudroyé et bouleversé de l’exposition historique de quarante toiles de Wols[3] qui s’ouvre le 23 mai 1947 à la galerie René Drouin. Mathieu y voit « un évènement considérable, le plus important sans doute depuis les œuvres de Van Gogh. Le cri le plus lucide, le plus évident, le plus pathétique du drame d’un homme et de tous les hommes. »[4] Cette révélation est pour Mathieu un véritable déclencheur, un appel à l’action : « Wols a tout pulvérisé. […] Après Wols, tout[5] est à refaire ».

Le 21 juillet s’ouvre le deuxième Salon des Réalités Nouvelles où Mathieu présente trois toiles réalisées à même le sol (Survivance, Conception et Désintégration) et qui seront exposées, à défaut de classification possible, dans la section « musicaliste ». Le critique Jean-José Marchand remarque « […] un peintre nommé Mathieu qui nous paraît l’un des plus originaux »[6]. Le 11 octobre s’ouvre le 14e Salon des Surindépendants auquel Mathieu envoie deux toiles (Exorcisme et Incantation) qui lui vaudront un nouvel encouragement de Marchand : « Je citerai tout d’abord l’abstrait Georges Mathieu. Ce jeune homme expose deux grandes toiles très lyriques, extrêmement émouvantes, capables, je crois, de toucher le public bien qu’elles “ne représentent rien” »[7].

L’imaginaire, première exposition de combat pour l’abstraction lyrique

C’est dans ce contexte de choc artistique et de début de reconnaissance critique que Mathieu se lance avec ardeur dans l’exécution de son projet qui, bien au-delà de l’exposition de ses propres œuvres, est de « réunir tout ce [qu’il] estime constituer ce qu’il y a de plus vivant, rassembler les œuvres dans une exposition et les présenter en les situant historiquement, c’est-à-dire en révélant comment et pourquoi cette peinture qui naît n’a rien à voir avec ce qui continue d’être montré comme contemporain. »[8] Il partage ce projet d’ « exposition de combat » avec Camille Bryen et tous deux s’entendent pour le soumettre à Éva Philippe qui dirige la galerie du Luxembourg. Ils l’invitent à exposer en complément de leurs propres œuvres celles de Hans Hartung, Jean-Michel Atlan, Wols, Jean Arp, Jean-Paul Riopelle et Fernand Leduc. Elle accepte d’organiser cette exposition, non sans y rajouter quelques artistes de son choix, qui débute le 16 décembre 1947 sous le nom L’Imaginaire. Dans son texte de présentation, Jean-José Marchand emploie l’expression d’« abstractivisme lyrique » et conclut ainsi : « Désormais la voie est libre. C’est aux peintres de nous montrer comment ils utilisent cette liberté. » Le coup de départ de l’abstraction lyrique est donné.[9]

H.W.P.S.M.T.B.

Nous sommes désormais en 1948 et, fort du rôle de chef de file nouvellement endossé, Georges Mathieu accepte la proposition qui lui est faite par Colette Allendy d’organiser une nouvelle exposition collective dans sa galerie, dans la continuité de la précédente à la galerie du Luxembourg. Il décide d’y ajouter les sculptures de François Stahly et de Michel Tapié, et remarque au sujet de ces dernières qu’elles relèvent « à la fois de dada et de l’art africain ». Elles ont « le grand mérite d’être en rupture avec le classicisme figuratif en même temps qu’avec toute géométrie post-cubiste » ainsi que celui de « déplaire furieusement à Charles Estienne »[10] dont Tapié deviendra le rival dans le cercle très fermé des critiques d’art français.

En avril s’ouvre donc à la galerie Allendy l’exposition H.W.P.S.M.T.B. dénommée selon les initiales des artistes présents : Hartung, Wols, Picabia, Stahly, Mathieu, Tapié, Bryen. Plusieurs d’entre eux écrivent des textes pour le catalogue qui devient dès lors un manifeste multiple. Celui de Mathieu s’intitule La liberté c’est le vide et conclut à une libération conjointe des différentes formes d’expression. Il appelle à explorer cette liberté au sein du for intérieur de chacun, dans un lien personnel plutôt qu’universel avec le cosmos :

« […] La poésie, la musique, la peinture viennent en effet de se débarrasser des dernières servitudes : le mot, la tonalité, la figuration. Les aspérités rassurantes auxquelles s’accrochaient les sécrétions des hommes ayant disparu, deux moyens de transcendement leur restent offerts : l’un, illusoire, qui coagule les sensibilités dans l’universalité cosmique, l’autre, qui les exacerbe et les exalte par la revalorisation de tous les possibles dans l’étanchéité des consciences individuelles. »

Tapié plaide dans le même catalogue pour conjuguer la liberté de création au présent, loin de tout automatisme :

« Le temps, comme la Nature, ne procédant que par bonds, la vie n’est qu’une succession de présents. […] Le Jeu se joue au jour le jour, chaque fois, sans aucun enchaînement. Incohérence ? Tant mieux, mais pas nécessairement : systématiser l’incohérence serait un autre poncif, entamerait cette disponibilité totalement libre hors de laquelle l’homme devient troupeau (ou homme de troupe). »

À partir de cette exposition, leur amitié se nouant, Tapié fera cause commune avec Mathieu, dans une répartition des rôles qui verra Mathieu se concentrer sur celui d’artiste, et Tapié sur celui de critique d’art, ceux-ci ayant à l’époque une importance considérable. Mathieu continuera à écrire de nombreux textes sur sa vision de l’art, mais il laissera progressivement à d’autres l’organisation d’expositions collectives. Tapié, qui avait déjà pris la plume en 1946 pour le catalogue de l’exposition Mirobolus Macadam & Cie, Hautes Pâtes de Jean Dubuffet et qui dirigeait le Foyer de l’Art Brut[11] situé dans les locaux mis à sa disposition en 1947 par le marchand René Drouin[12], délaissera son activité d’artiste et s’appuiera sur les œuvres et la renommée de Mathieu pour concrétiser sa vision critique.

White and Black

En juillet est présentée à la galerie des Deux Îles, récemment créée par Florence Bank[13] l’exposition White and Black où sont présentés dessins, gravures et lithographies monochromes de Arp, Bryen, Fautrier, Germain, Hartung, Mathieu, Picabia, Tapié, Ubac et Wols. Cette fois-ci, Mathieu demande un texte au critique d’art Édouard Jaguer ainsi qu’à Michel Tapié dont ce sera la dernière participation en tant qu’artiste. Tapié l’intitule Invite et y vante en français et en anglais les mérites d’une liberté créatrice décorsetée des notions de style et de composition. Il y introduit le concept d’informe[14] qu’il développera plus tard sous le nom d’informel[15] : « ouvrons les classes et les cliniques, vivent la Foire et les microbes, l’Incohérent et l’Informe enfin lâchés gagnent sur tous les tableaux car ils ont pour eux la seule force magico-psychique justement réelle : l’Inertie ».

Le critique d’art Pierre Restany, qui défendra l’abstraction lyrique[16] avant de théoriser et lancer le nouveau réalisme, confirmera dix ans plus tard, en 1958, que les trois manifestations de groupe précédemment décrites « constituent les épisodes marquants de la lutte en faveur de l’Abstraction Lyrique »[17] et qu’il n’existe pas de doute que le zèle, la foi et l’ardeur de Mathieu « dans la proclamation lyrique aient contribué pour une grande part au retentissement de l’offensive anti-formaliste, dont il est l’un des leaders incontestés ». Mathieu n’en est pas moins conscient que si, « en cette fin de 1948, les manifestations de pur combat ont eu lieu, la victoire n’en est pas décisive pour autant »[18]. Dès lors, il passe implicitement le témoin à Tapié, non sans craindre les équivoques qui pourraient s’ensuivre : « Je n’ai plus néanmoins le même acharnement à tenter d’informer. Conscient d’avoir accompli mon rôle, d’avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir de faire, je sais que le temps est de mon côté, que la vérité finira par éclater au grand jour, que cette Abstraction libre triomphera fatalement et je devine même qu’elle risquera de donner lieu aux plus grandes confusions, aux plus grandes facilités. »

Galerie René Drouin, première exposition personnelle de Mathieu à Paris

C’est en mai 1950, à la galerie René Drouin où Michel Tapié est désormais conseiller artistique, que Mathieu obtient sa première exposition personnelle à Paris[19]. À cette occasion est publié en édition très limitée un poème d’Emmanuel Looten, La complainte sauvage, qui est « orné de signes de Georges Mathieu » juxtaposés sur le texte[20]. Seront présents au vernissage « Jean Paulhan, Salvador Dalí, Henri Michaux, Max Ernst, Matta et Francis Picabia »[21]. Dans son texte intitulé Dégagement, Tapié affirme que c’est faire « confiance à l’Homme que de lui donner un risque à courir »[22]. Mathieu développera également la thématique de l’esthétique du risque : « À une métaphysique de la liberté succède une métaphysique du vide, du risque, de détachement et finalement de l’émergence. »[23]

Figure 1 : Catalogue de l’exposition personnelle de Georges Mathieu à la galerie René Drouin, 1950

Figure 2 : De gauche à droite, Emmanuel Looten, Michel Tapié (tenant un exemplaire de La complainte sauvage), Georges Mathieu, en-dessous de Flamence rouge (1950, intitulée Flamence noire dans le catalogue de l’exposition)

Véhémences confrontées, première passerelle entre l’Europe et les États-Unis

Mathieu, responsable depuis 1947 des relations publiques de la compagnie maritime transatlantique United States Lines[24] et conscient de l’existence de « recherches concomitantes » aux États-Unis alors ignorées en Europe et menées notamment par Pollock, De Kooning, Tobey[25], souhaite défendre ces artistes abstraits d’outre-Atlantique aux côtés de leurs alter ego européens. Il organise une exposition en novembre 1948 à la galerie du Montparnasse, une ancienne librairie dirigée par Gilberte Sollacaro, qui devra réunir les œuvres de Bryen, De Kooning, Gorky, Hartung, Mathieu, Picabia, Pollock, Reinhardt, Rothko, Russell, Sauer, Tobey et Wols. Si toutes les œuvres souhaitées ne pourront être obtenues par Mathieu du fait de difficultés de prêt par les galeries américaines[26], ce projet trouvera son aboutissement[27] en mars 1951 à la galerie Nina Dausset, après que Tapié aura proposé à Mathieu d’organiser avec lui une nouvelle confrontation parisiano-américaine.

Tapié avait eu très tôt, dès la fin des années 1940, la possibilité de se rendre en Amérique de par son amitié avec Mathieu, ce qui était une chose très rare dans le milieu culturel du Paris de l’époque[28]. Il a développé comme Mathieu l’intuition et la volonté de rapprocher les acteurs de l’expressionnisme abstrait américain et ceux de l’abstraction non-géométrique européenne. Soucieux de s’opposer à un certain parisianisme, Tapié veut renforcer la jeune suprématie de l’avant-garde informelle en étendant son périmètre à de nouveaux territoires.[29]

Cette exposition historique est nommée Véhémences confrontées, en référence aux termes « véhémentes » et « soufrées » employés par André Malraux lorsque Tapié lui présenta pour la première fois les œuvres de Mathieu à la galerie Drouin.[30] Elle proposera comme l’indique le carton d’invitation « pour la première fois en France, la confrontation des tendances extrêmes de la peinture non-figurative américaine, italienne et de Paris présentée par Michel Tapié », et réunira les œuvres de Bryen, Capogrossi, De Kooning, Hartung, Mathieu, Pollock, Riopelle, Russell et Wols.

Une grande « affiche-manifeste » tient lieu de catalogue et L’Hommage à Louis XI[31] de Mathieu y est reproduit. Dans un long texte offensif à l’égard des artistes contemporains, Tapié parle d’informel, ouvrant la porte à un schisme théorique avec Mathieu dont les signes sont incompatibles avec le concept d’informel. Par ailleurs, Tapié réfute le terme de mouvement et ne reconnaît, comme Mathieu, que des aventures individuelles : « chacun a abordé le domaine indéfini de l’informel avec son propre tempérament ». Il ne s’agit donc pas d’une exposition de « groupe », mais d’une « confrontation » issue d’une sélection, dans la lignée des précédentes manifestations de combat[32] d’ailleurs rappelées sur l’affiche. Enfin, Tapié indique « Or l’AVENTURE EST AILLEURS, ET AUTREMENT[33] », préfigurant l’art autre qu’il s’emploiera à défendre l’année suivante, et cite Saint Jean de la Croix : « Pour aller où tu ne sais pas, tu dois aller par où tu ne sais pas. »

Figure 3 : Carton d’invitation de l’exposition Véhémences confrontées, organisée à la galerie Nina Dausset en 1951

Mathieu sera finalement bien peu récompensé de son américanophilie et de sa défense d’une abstraction libre américaine quand les intérêts chauvinistes prendront l’ascendant outre-Atlantique au fil des années 1950. Samuel Kootz, son galeriste attitré à New York depuis 1954, lui demandera en 1957 de peindre ses toiles dans un sous-sol d’hôtel plutôt qu’en public[34], à l’opposé des nombreux autres pays où il a librement pu donner à voir le dynamisme intuitif de sa peinture, au prétexte que son audacieuse vitesse d’exécution des toiles pourtant revendiquée poserait un problème commercial.[35] Mathieu attribue cette mise en sourdine forcée à la concurrence qu’il représente pour les peintres américains, que Kootz confirmera dans une lettre à Michel Tapié : « J’en viens à penser que je ne suis intéressé par aucun accord pour les œuvres de Mathieu, Schneider, ou d’autres artistes moins connus, étant donné que je réserve mes efforts, les plus importants, pour faire connaître les peintres américains. »[36] Tapié conclura cinq ans après cette lettre, dans le catalogue de 1957 de la Rome–New York Art Foundation dont il deviendra conseiller artistique : « Et si au cours de récents séjours à New York j’ai pu constater que certains artistes européens sont connus et appréciés (Mario Marini, Dubuffet, Mathieu, Capogrossi, Soulages, Francis Bacon, Riopelle, Burri, Fautrier et Hosiasson par exemple) il est indubitable qu’une certaine défiance existe de part et d’autre, hélas, au détriment de deux parties ».

Le portrait de Tapié selon Mathieu

À l’occasion de l’exposition Véhémences confrontées, Mathieu fait paraître dans le magazine anglophone Paris News Post[37] un portrait de Michel Tapié, publié juste en-dessous d’un article de ce dernier, qu’il débute ainsi : « Il est extrêmement rare de rencontrer un esprit humain présentant les caractéristiques étrangement assorties de la logique, du mysticisme et du Dada »[38].

Figure 4 : Extrait de Paris News Post, juin 1951

Féru d’histoire, Mathieu[39] souligne les origines aristocratiques de celui dont le nom complet est Tapié de Céleyran, qui est « né d’une des plus vieilles familles de Languedoc (alliée aux comtes de Toulouse, plus puissants jusqu’au XIIIe siècle que le roi de France), dans le château de Mauriac, au centre de l’hérésie cathare ». Il décrit un Tapié « écrasé par un passé trop chargé de tradition, de religion, de faits glorieux (ses ancêtres commandaient une des quatre armées féodales de la 1ère Croisade) [qui] ne pouvait qu’avoir une attitude prédominante de refus : refus de l’action par nature, refus du travail par habitude, refus de la preuve par éducation, refus de la cohérence, ou au moins de l’unité, par contagion. »

Mathieu raconte comment, « élevé dans l’opulence et le luxe au milieu des peintures de son cousin [Henri de Toulouse] Lautrec, [Tapié] quitte bientôt le château familial pour faire ses humanités dans différentes institutions jésuites, où il fait l’expérience de l’austérité ascétique et de la solitude. Puis brusquement, c’est Paris et l’effervescence du monde. En 1928, le jazz est introduit en France ; il en devient vite l’un des pionniers[40]. Il participe à la fondation des Salons des Surindépendants. Il conduit aussi des automobiles de course. »

Ce « cynique du dilettantisme » étonne et séduit Mathieu par « son extraordinaire capacité d’investigation et d’osmose dans les domaines du nombre, du monde sonore et du monde visuel ». Tapié tient réciproquement Mathieu en grande estime, lui écrivant la même année : « Les cris des silencieux de votre espèce présentent toujours pour moi le plus haut intérêt, du fait d’abord de leur précieuse rareté, et bien plus de valeur de leur contenu, tellement loin de toutes les socialisations dans lesquelles s’étiolent toutes les branches de l’activité humaine. »[41]

Hommage au Maréchal de Turenne : l’action painting mis en scène pour la première fois, au Studio Facchetti

En 1951, à la fermeture de la galerie Drouin, place Vendôme, Mathieu présente Tapié au photographe Paul Facchetti qu’il connaît depuis 1948[42], à qui il demande de réaliser des reproductions couleur de ses travaux et qu’il encourage « vivement à ouvrir une galerie d’art ». Facchetti engage alors Tapié comme conseiller artistique de sa galerie ouverte en octobre, le « Studio Facchetti ». En novembre débute l’exposition collective Signifiants de l’informel, initiée par Tapié, où sont représentés Dubuffet, Fautrier, Mathieu, Michaux, Riopelle et Serpan.

Tapié organise en janvier 1952, toujours au Studio Facchetti, une nouvelle exposition personnelle de Mathieu intitulée Le message signifiant de Georges Mathieu.

Parmi les cinq œuvres exposées, deux se référent directement à Tapié : Hommage hérétique (1951, dédicacé « Pour Michel Tapié »), en référence à ses origines cathares si ce n’est à ses positions sur l’informel, ainsi qu’Hommage à Machiavel (1952), Mathieu ayant employé les termes de machiavélisme lucide à son égard.

Tapié débute le catalogue d’exposition par cette appréciation : « Arriver au “style” en évitant tous les pièges académiques n’est pas la moindre des stupéfactions que nous éprouvons devant les œuvres de Georges Mathieu » et cite Salvador Dalí qui parle de la « volonté acharnée d’extase » de Mathieu. Tapié conclut que Mathieu « se permet ce qui peut passer pour la plus périlleuse gageure de notre temps actuel : l’élégance ».

En se faisant photographier le 19 janvier 1952, la veille du vernissage, alors qu’il réalisait son fameux Hommage au Maréchal de Turenne[43] sur le lieu de son exposition, Georges Mathieu devient « le premier à mettre en scène des peintures d’action en direct ».[44] Facchetti se souvient que « Mathieu s’était mis torse nu, un bandeau sur le front, il s’était précipité sur ses tubes de peinture à l’huile, les pressant en éraflant la toile, créant ainsi dans une tension extrême un mouvement d’une rare violence. [Il avait] été le témoin de cet événement, sans doute l’un des premiers happenings, [qu’il a] immortalisé avec [son] appareil de photo »[45].

L’hommage au Maréchal de Turenne et La mort de Philippe III le Hardi[46] ont été les premières grandes toiles (2 m x 4 m) de Mathieu. Elles furent néanmoins réalisées en moins de trois quarts d’heure.[47] Introduisant « la vitesse et l’improvisation à un degré jamais vécu auparavant, [Mathieu allait] bousculer des petites idées occidentales bien établies depuis des siècles, et voir se dresser contre [lui] toutes les barrières de l’incompréhension, de l’indignation et de la révolte »[48].

Figure 5 : Georges Mathieu peignant Hommage au Maréchal de Turenne, le 19 janvier 1952, photographie : Paul Facchetti

Figure 6 : Georges Mathieu, Hommage au Maréchal de Turenne, 1952

L’exposition est reprise la même année à la Stable Gallery à New York, par Alexander Iolas à qui Tapié avait écrit en 1951: « La notoriété et la combativité de Mathieu commencent à provoquer pas mal de réactions. »[49] Cette première exposition personnelle de Mathieu à New York, intitulée The Significant Message of Georges Mathieu, permettra au New York Times[50] de dire que « Mathieu est un virtuose du pinceau ». Le texte du catalogue est celui de Michel Tapié déjà publié pour l’exposition au Studio Facchetti, suivi d’un texte de Mathieu, Anagogie de la non-figuration[51], tous deux proposés en versions anglaise et française.

Alors que Mathieu avait regretté la confusion causée par le mélange d’artistes abstraits et figuratifs lors de l’exposition des Signifiants de l’informel de novembre 1951, Tapié entretient la confusion terminologique en organisant en juin 1952 une seconde édition des Signifiants de l’informel, dans laquelle Mathieu est à nouveau représenté, accompagné d’artistes abstraits mais plus de figuratifs[52], puis le même mois l’exposition Peintures non abstraites[53] où sont représentés certains artistes associés aux deux éditions des Signifiants de l’informel.

Un art autre

En décembre 1952, Michel Tapié publie un livre-manifeste intitulé Un art autre[54] qui sera accompagné d’une exposition au Studio Facchetti. Dans cet ouvrage jalon de l’histoire de l’art, Tapié offre une place de choix au « lucide Georges Mathieu »[55] dont six toiles sont reproduites[56] aux côtés de Pollock, Sam Francis, Dubuffet, Soulages, Hartung, Wols, Michaux, Riopelle, Fautrier, Appel. Tapié affirme que « les graphismes de Mathieu, loin de toutes les mollesses liées à l’automatisme […] ont l’air de traces issues de gestes de gigantesques orthoptères, traces non laissées[57], comme on dit, mais bien faites[58] pour témoigner de la plus flagrante façon d’un moment de paroxysme créateur ».

L’informel, que Tapié définit de façon souvent alambiquée dans la rhétorique lyrique et mystique qu’il affectionne, est augmenté par le concept plus souple mais tout aussi sibyllin d’un art autre, étendu selon Mathieu à un « mélange de surréalistes, d’expressionnistes, d’abstraits, de figuratifs »[59]. Cet art autre, qui à défaut de savoir ce qu’il est certifie ce qu’il n’est pas, concerne tous les artistes qui ne rentrent dans aucune catégorie précédemment identifiée. Son postulat semble assez élastique si ce n’est hermétique : « l’art s’exerce ailleurs, en dehors, sur un autre plan de ce Réel que nous percevons autrement, l’art est autre. »[60] Il ne s’agit plus d’être « dans la dérogation vis-à-vis de lois admises » mais « dans une autre[61] recherche ». Derrière cette présentation ambiguë de façon assumée[62], transparaît le hiatus entre deux options.

L’option de Mathieu est celle rationnelle — en opposition avec l’intuitivité de sa peinture — où les individualités des artistes peuvent faire l’objet de comparaisons et de classements a posteriori[63], et doivent satisfaire, non à des règles ou à tout formalisme, mais aux critères précis d’efficacité, de qualité, de signifiance, critères qui définissent les contours de l’abstraction lyrique, mouvement capable de lutter et de s’imposer face à ses prédécesseurs.

L’option de Tapié est celle où les individualités ne gagnent pas à s’intégrer à un mouvement : « Pour nous ce ne sont plus les mouvements qui sont intéressants, mais combien plus rares, les authentiques Individus. Les mouvements n’ont existé que parce que la majorité des gens recherchaient le troupeau au sein duquel ils trouvaient une sécurité à l’échelle de leur lâcheté. »[64] Dès lors, Tapié présente une nébuleuse d’artistes aux fortes individualités, réunis au seul titre qu’il les a sélectionnés comme étant les représentants les plus pertinents ou les plus inclassables de l’avant-garde internationale la plus pointue. Certains déduiront[65] que Tapié reste évasif à défaut de pouvoir rationaliser et justifier cette sélection, à moins qu’il ne s’agisse d’une conséquence de son dadaïsme.

La Bataille de Bouvines

Le 25 avril 1954, après que Germaine Richier lui demande de participer au Salon de mai, Georges Mathieu peint son emblématique Bataille de Bouvines[66], toile monumentale mesurant 2,50 m x 6 m, dans les Ateliers Calmels de la rue Marcadet[67] qu’il a loués et « où l’on peint les plus grands décors de cinéma de Paris »[68], en présence de Michel Tapié et d’Emmanuel Looten, sous l’œil de la caméra de Robert Descharnes. Mathieu passe ainsi de la photographie au film dans la documentation de son travail.

Tapié décrit la naissance de cette « œuvre-clé » dans un livret intitulé 1214 illustré d’images extraites du film de Descharnes, ainsi que dans une publication sur quatre pages en anglais, en février 1955, dans la revue américaine ARTnews sous le nom Mathieu Paints a Picture[69], qu’il signe de son nom complet, Tapié de Céleyran[70]. Il rapporte que Mathieu, habillé d’un « costume de soie noire, avec un casque blanc, des souliers et des jambières en croisillons blanches », y était en quelque sorte le représentant de Mathieu de Montmorency, tandis que le poète flamand Looten y représentait le Comte de Flandre, et Tapié, le Comte de Toulouse dont il est un descendant. L’œuvre fut par la suite transportée au Salon de mai sur « un char rustique tiré par un cheval » empruntant les bords de Seine.

Tapié, une fois n’est pas coutume, ne recourt pas à sa terminologie habituelle et, plutôt que de parler d’informel, précise ce qu’il faut entendre par « “abstraction lyrique” lorsqu’il s’agit de Georges Mathieu… Ici le terme lyrique doit être dépouillé de tout contenu romantique, et transcendé. »[71]

Figure 7 : Georges Mathieu peignant la Bataille de Bouvines, le 25 avril 1954, photographie : Robert Descharnes

Figure 8 : Georges Mathieu à côté de la Bataille de Bouvines, ARTnews, février 1955

Les Capétiens partout !

En 1954, Michel Tapié quitte le Studio Facchetti pour s’occuper jusqu’en 1956 de la galerie Rive Droite de Jean Larcade. C’est le prince Igor Troubetzkoy, collectionneur de peintures et ancien pilote de course automobile présenté par Mathieu à Tapié, qui recommande ce dernier à Larcade[72]. Tapié obtient alors le « rôle de conseiller, de débatteur, de découvreur et de défenseur de l’art vivant »[73].

Le 10 octobre 1954, Mathieu réalise en une heure vingt sa célèbre peinture Les Capétiens partout ![74] sur le terrain du château appartenant au père de Jean Larcade à Saint-Germain-en-Laye, « devant une grande façade gothique environnée de marches avec un baptistère lombard qui a été, par la suite, vendu au département des antiquités du Louvre »[75], en présence des reporters du magazine américain Life, Gabrielle Smith et Dmitri Kessel.

Mathieu racontera plus tard que « ce fut probablement la découverte [de ce] château […] qui en raison de l’exceptionnelle concentration historique que représentait son parc [le] détermina à choisir l’événement le plus important de l’Histoire de France »[76], à savoir l’élection de Hugues Capet, « le premier héros » et « l’un des plus beaux mythes de notre Histoire avec Charlemagne et les Croisades ».

Mathieu détaillera également l’approche esthétique ayant concouru à cette création pourtant non-représentative : « La couleur du fond serait un violet sombre : du violet de cobalt mélangé au noir d’ivoire : la couleur des vêtements de sacre. Le premier signe s’imposa d’emblée : le globe surmonté d’une croix tracé le tube à la main. Le premier coup de pinceau signifia une couronne et son rayonnement de plus en plus amplifié dans des auras de plus en plus distantes sur la gauche. Une tache noire, la lettre I puis une barre verticale s’affirment. Puis apparaissent les jaunes de chrome et les rouges de Chine. Est-ce l’or et la gloire, est-ce la passion et le sang ? Puis une autre couronne dorée, puis le commencement d’un long travail au tube direct, alterné avec des touches au pinceau. ».

Trois semaines plus tard, cette œuvre magistrale est transportée à la galerie Rive Droite qui proposera une exposition personnelle du même nom durant le mois de novembre. Jean Larcade, qui est impressionné par la bravoure et le sérieux de Mathieu[77], fera don des Capétiens partout ! au Musée national d’art moderne[78] en 1956. Il s’agira de la première œuvre de Mathieu dans un musée français, plusieurs années après les acquisitions du Musée d’art moderne de Rio de Janeiro, de l’Art Institute de Chicago et de la Fondation Solomon Guggenheim de New York[79].

Le catalogue d’exposition de la galerie Rive Droite offre des textes de Michel Tapié, du philosophe Stéphane Lupasco et du peintre américain Mark Tobey. Ce dernier note, dans une prémonition du voyage de Mathieu et Tapié au Japon qui aura lieu trois ans plus tard : « Que la méthode employée me rappelle l’esthétique de l’Extrême-Orient est trop évident car on ne peut voir aucune trace d’une approche artisanale et le spectateur est pris dans une immédiateté qu’on pourrait, dans un premier temps, trouver très déconcertante ou tenter de rejeter. »[80] De son côté, Lupasco explique que les signes de Mathieu résistent « au réflexe de signification » et se suffisent à eux-mêmes, constituant « une question pure, un mystère en soi » ne pouvant être expliqué. Enfin, Tapié voit en Mathieu l’un des « quelques Individus dignes de ce nom dans l’aventure de cet art autre », doté d’une « volonté très élaborée d’entretenir de la plus vivace façon les mythes » et exhibant « une forme difficile de haut dandysme, dans le sens le plus baudelairien du terme » c’est-à-dire celui de la révolte contre l’ordre bourgeois.

Figure 9 : Georges Mathieu peignant Les Capétiens partout ! à Saint-Germain-en-Laye, le 10 octobre 1954

Figure 10 : Un écolier devant le camion de transport de la toile Les Capétiens partout !, photographie : Robert Descharnes

Figure 11 : Carton d’invitation, galerie Rive Droite, novembre 1954

Figure 12 : Georges Mathieu et Michel Tapié à la galerie Rive Droite, 1954, devant la toile intitulée Qui reges deponerem, regesque ordinarem (1953)

Le couronnement de Charlemagne

En mai 1956, la galerie Rive Droite présente une nouvelle exposition personnelle de Mathieu. En exposant ses toiles récentes « sous des baldaquins carolingiens »[81] tandis qu’il joue costumé le rôle de Charlemagne, assis sur un « trône repris d’Aix-la-Chapelle », dans un court métrage de Robert Descharnes intitulé Le couronnement de Charlemagne auquel participe Michel Tapié, Mathieu veut « réintroduire la notion de jeu dans l’art et dans la culture »[82] et ce uniquement, précision essentielle, « dans la présentation et non dans l’exécution des œuvres », ce qui n’empêcha pas « toutes les barricades du scandale » de se soulever contre lui. La notion de jeu, première d’une trilogie de notions à revaloriser constituée également de celles de sacré et de fête[83], sera l’objet la même année d’un numéro de la revue United States Lines Paris Review qu’il dirige.

Tapié assure que Mathieu a réalisé « quelques-unes de ses œuvres abstraites les plus hautement signifiantes et chargées des plus intenses qualités magiques et artistiques »[84] pour cette exposition dont la toile centrale, intitulée Couronnement de l’Empereur Charlemagne par le Pape Léon III[85], est peinte sur un fond doré à la feuille.

Figure 13 : De gauche à droite[86], le prince Igor Troubetzkoy costumé en Haround el Rachid, Georges Mathieu costumé en Charlemagne, Michel Tapié costumé en comte de Rouergue, Alain Bosquet costumé en astrologue, devant la toile intitulée Couronnement de l’Empereur Charlemagne par le Pape Léon III, dans le film de Robert Descharnes, 1956

La même année, Michel Tapié publie un nouveau livre, Esthétique en devenir, dans lequel il donne des critères plus stricts à la définition de l’art qu’il défend, comme pour donner des gages aux préventions de Mathieu : « l’informel n’est qu’une matière plus généralisée, […] il n’est pas un but à atteindre, une tendance optima […] les dangereux usagers oublient chaque fois que ce terme n’a jamais[87] été proposé seul, mais que l’on a parlé de Signifiance de l’Informel, ce qui n’est rien d’autre qu’une proposition d’aventure possible pour d’actuels artistes ». Tapié dédicace un exemplaire de ce livre à Mathieu[88], « l’un des pionniers de ce “devenir”, en constante et haute amitié »[89], démontrant que leur entente dépassait à cette période leurs divergences.

Toujours en 1956 paraît en anglais le livre hommage Observations of Michel Tapié[90] édité par Paul et Esther Jenkins[91]. Mathieu le clôt par une note biographique sur Tapié, dans laquelle il reprend certains éléments de son portrait datant de juin 1951 pour le Paris News Post[92]. Il conclut en affirmant de Tapié que « son activité durant les dix dernières années se révèle d’une importance majeure » et qu’il « aura eu le grand mérite de s’aventurer dans [le domaine de la peinture et de la sculpture] avec des capacités extraordinaires d’investigation et une perspicacité foudroyante »[93].

Figure 14 : Portrait de Michel Tapié par Georges Mathieu, 11 juin 1955, dans Observations of Michel Tapié, 1956, édité par Paul et Esther Jenkins, publié par George Wittenborn

L’informel au Japon, à la rencontre de Gutaï

À partir de 1955, Tapié travaille désormais pour la galerie de Rodolphe Stadler qui avait « beaucoup entendu parler de lui en fréquentant la galerie René Drouin […] et Galerie Rive Droite » et lui a été présenté par la peintre Jeanne Laganne. Stadler se souvient : « sa culture extravagante m’impressionne d’emblée autant que son enthousiasme. Élégant, aussi intellectuel qu’aristocrate, capable de parler aussi bien de cigares et de football que de littérature ou de physique nucléaire, nous sympathisons aussitôt. L’une de ses très grandes qualités était de rendre immédiatement intelligent celui qui prenait la peine de l’écouter même si, hors de la peinture, sa compréhension des problèmes qu’il abordait pouvait paraître un peu brumeuse à beaucoup. »[94]

En novembre 1956 le journal japonais Asahi organise au grand magasin Takashimaya[95], avec l’aide des peintres Tarō Okamoto et Toshimitsu Imaï, l’exposition d’art contemporain Sekai Konnichi no Bijutsuten (exposition internationale de l’art actuel) qui sera la première à présenter de l’art informel au Japon. 60 œuvres de 60 artistes japonais et 76 œuvres de 47 artistes étrangers y sont exposées, dont 17 proviennent de la collection personnelle de Tapié et représentent l’art informel[96]. Bien que les œuvres informelles soient minoritaires, celles de Georges Mathieu, Jean Dubuffet, Jean Fautrier, Sam Francis, Willem De Kooning et Mark Tobey suscitent le plus d’intérêt[97]. Cette exposition internationale, qui correspond pleinement à la vision de Tapié selon laquelle l’art informel est cosmopolite, a eu « l’effet d’un coup de tonnerre dans le milieu très conservateur de l’art japonais »[98].

Tapié prévoit de rencontrer le mouvement d’avant-garde japonais Gutaï[99], d’inspiration Dada et qu’il souhaite voir rejoindre les rangs de l’art informel, dès lors qu’il se rendra au Japon pour la première fois : Jirō Yoshihara, fondateur et théoricien du mouvement, l’annonce en avril 1957 dans le n°6 de la revue Gutaï.[100] Yoshihara avait écrit l’année précédente dans le manifeste de l’art Gutaï[101] que les membres de Gutaï avaient été informés des « activités de l’art informel » par le peintre informel installé à Paris Hisao Dōmoto et le critique d’art Sōichi Tominaga[102], et qu’ils avaient « le plus grand respect pour Pollock et Mathieu car leurs œuvres révèlent le hurlement poussé par la matière, les cris des pigments et des vernis », instituant la même idée d’un triangle Paris–États-Unis–Japon que celle défendue par Tapié dans ses expositions au Japon.

Figure 15 : Michel Tapié, photographie extraite de Qu’est-ce que l’informel ? (« Anforumeru to ha nani ka« ) – Génèse d’une ère autre, Michel Tapié, Sōichi Tominaga, Shūzō Takiguchi, Toshimitsu Imaï, 1957, Éd. Zauhō Kankōkai

Dans le 8ème numéro de la revue Gutaï, titré L’aventure informelle et coédité par Tapié qui y travaille avant même son voyage au Japon[103], ce dernier rend un « hommage à Gutaï », dont l’épigraphe « Soyons durs » est empruntée à Nietzsche, où il affirme :

« Je reconnaissais par la revue et quelques documents l’extraordinaire ambiance des manifestations, portant à un très haut degré cette tonique invention digne de la meilleure tradition de cette nouvelle ère ouverte par Tzara et Picabia il y a quelque quarante ans. Je sais maintenant que la qualité des œuvres proposées est digne des meilleures confrontations internationales possiblement réalisables. […] J’étais venu pour la première fois au Japon avec l’idée d’y proposer[104] et d’y faire[105] quelque chose : j’y ai en fait trouvé[106] en pleine forme cette gageure qu’est, et existentiellement, et qualitativement, le phénomène Gutaï, à qui je fais humblement la haute requête de me faire l’honneur de m’accepter comme élément (actif, bien entendu). » Le projet d’exposition de Mathieu au Japon en 1957, organisé sur la suggestion[107] de Toshimitsu Imaï[108], donne l’occasion à Tapié de s’y rendre, toujours sur la proposition d’Imaï[109].

Figure 16 : Arrivée de Georges Mathieu à l’aéroport de Tokyo, « Arrivée au Japon de l’artiste français unique » (Futuno Isyokugaka Raïnichi), Yomiuri Shimbun, 30 août 1957

Comme le raconte le peintre surréaliste et critique d’art Shūzō Takiguchi, qui avait attendu Mathieu à l’aéroport de Tokyo le 29 août, accompagné de Toshimitsu Imaï et Sōichi Tominaga[110] : « Mathieu est arrivé au Japon, muni tout simplement de l’acte pur de peindre, au lieu de sa valise, la boîte de couleurs. »[111] Il exécute à Tokyo « 21 toiles en trois jours »[112] devant de nombreux journalistes, dont cinq toiles en cinq heures dans le jardin de Tarō Okamoto, puis quatorze toiles en trois heures à l’école d’art floral Ikebana Sōgetsu fondée par le peintre et sculpteur Sōfū Teshigahara, et enfin dans la réserve du grand magasin Shirokiya, la spectaculaire Bataille de Hakata[113] mesurant 2 m par 8 m et réalisée en 110 minutes, commandée par Teshigahara pour être exposée dans le futur centre d’art Sōgetsu Kaikan.[114] Le jour d’ouverture de l’exposition au Shirokiya, qui recevra du 3 au 8 septembre « plus de 25.000 visiteurs » [115], Mathieu réalise une imposante fresque de 15 m de long, la Bataille de Bun’ei[116], sous les yeux d’un public dense massé devant la vitrine.

Figure 17 : Georges Mathieu peignant la Rentrée triomphale de Go Daïgo à Kyoto (actuellement dans la collection de la Fondation Gandur pour l’Art) dans le jardin de Tarō Okamoto, Geijutsu Shinchō, vol. 8, 1957

Figure 18 : Mathieu peignant La bataille de Bun’ei, derrière la vitrine du grand magasin Shirokiya à Tokyo en septembre 1957, photographie : François René Roland

Le 5 septembre, Mathieu accueille Tapié à l’aéroport de Tokyo, accompagné de Teshigahara, Imaï, Takiguchi, Tominaga, Yoshihara qui représente Gutaï, et Hideo Kaītō du quotidien Yomiuri Shimbun[117]. Avant leur départ pour Ōsaka, Mathieu et Tapié visitent l’atelier de Teshigahara.

Figure 19 : Georges Mathieu accueille Michel Tapié à l’aéroport de Tokyo, 5 septembre 1957, photographie : archives du Comité Georges Mathieu

Figure 20 : Sōfū Teshigahara, Michel Tapié et Georges Mathieu dans l’atelier de Teshigahara à Tokyo, photographie : archives de la Fondation Sōgetsu, reproduite dans Sōfū Teshigahara, Dans l’ère d’avant-garde d’après-guerre, Musée Setagaya, Tokyo, 2001

Le 10 septembre, Mathieu, Imaï et Tapié sont accueillis à la gare d’Ōsaka par les membres de Gutaï. Mathieu exécute en public le 12 septembre « 6 toiles dont une de 3 m sur 6 m, Hommage au Général Hideyoshi »[118] sur le toit du grand magasin Daïmaru pour une exposition s’y tenant du 12 au 15 septembre et qui montre également les œuvres peintes à Tokyo[119].

Figure 21 : Arrivée à la gare d’Ōsaka de Michel Tapié, Georges Mathieu et Toshimitsu Imaï, accueillis par les membres du groupe Gutaï, 10 septembre 1957, photographie reproduite dans le catalogue d’exposition de la rétrospective Mathieu au Jeu de Paume, 2003, p. 93

Figure 22 : Georges Mathieu peignant une toile en public sur le toit du grand magasin Daïmaru à Ōsaka le 12 septembre 1957

Puis Mathieu tient devant deux mille étudiants[120], accompagné de Tapié et Imaï, une conférence sur la peinture d’avant-garde occidentale organisée par Yoshihara sous l’égide du journal Asahi Shimbun[121]. Mathieu et Tapié rendent visite au domicile de Yoshihara pour regarder les œuvres d’artistes de Gutaï[122]. Bien qu’il portera plus tard un regard critique[123] sur ce mouvement qu’il jugera expérimental, Mathieu est en accord avec Yoshihara pour viser une calligraphie abstraite indépendante des lettres[124]. Mathieu se rend également dans le temple Kaïseï-ji de l’école bouddhiste zen Rinzaï, à Nishinomiya, avec des membres de Gutaï « pour y admirer une œuvre de la ”calligraphie frénétique” du style de l’époque de Song exécutée par le moine zen japonais Nantenbō […] peinte sur un fusuma (une porte à glissière en papier) »[125] à laquelle il trouvera « quelque chose comme de l’informel ».

Mathieu et Tapié se rendent alors à Kyoto où, après avoir rendu visite au grand maître de la peinture japonaise traditionnelle Inshō Dōmoto, ils vont au temple bouddhiste Kennin-ji de l’école Rinzaï avec l’universitaire francophile Tōru Haga, spécialiste de littérature comparée qui leur sert d’interprète lors de l’entretien avec le prélat Ekishū Takeda. Haga raconte[126] leur cocasse séance de méditation assise zazen, une discipline où il convient de ne pas s’endormir et où l’on peut demander un coup de bâton kyosaku sur l’épaule pour se réveiller. Quoiqu’hésitant à la vue des moines frappés avec grand bruit, Mathieu demande un coup de bâton et en reçoit un léger. Tapié lui emboîte le pas mais le coup qu’il reçoit le fait hurler du fait de l’insolation de son dos.

Figure 23 : Michel Tapié et Georges Mathieu au Japon, « Tapié, Mathieu ryoushi wo kakonde » (Autour de M. Tapié et M. Mathieu), Ikebana Sogetsu, n° 15, 1957

Mathieu rencontre également à Kyoto le prix Nobel de physique, le Dr Yukawa Hideki, et s’entretient avec lui « des conséquences épistémologiques de sa nouvelle théorie concernant les particules élémentaires »[127]. Mathieu revient ensuite à Tokyo avant de quitter le Japon le 19 septembre pour Honolulu puis la Californie[128], tandis que Tapié reste à Tokyo pour son exposition d’art informel Sekaï Gendaï Geijutsu Ten (l’art contemporain dans le monde) organisée par le groupe de presse Yomiuri au musée Bridgestone[129], où il rajoute à la dernière minute des œuvres découvertes lors de son périple, notamment réalisées par Jirō Yoshihara, Kazuo Shiraga, Sōfū Teshigahara et Hideko Fukushima[130].

Ce voyage aura permis à Mathieu d’étendre sa notoriété au pays du soleil levant, tandis qu’il fera de Tapié, « très impressionné par la qualité d’ensemble »[131] du travail des artistes Gutaï, leur défenseur et critique d’art attitré. L’année suivante, Yoshihara déclarera qu’il « ne peut comprendre l’attitude des critiques japonais qui refusent de toucher aux fruits frais et préservés qu’ils offrent » et que « Michel Tapié est le premier critique à l’intérieur ou l’extérieur du pays qui prenne Gutaï au sérieux. »[132] Alors que le parrainage actif de Tapié permettra aux artistes Gutaï de bénéficier d’une notoriété internationale, son influence se verra critiquée, qu’il s’agisse du conflit d’intérêt causé par son activité de marchand de tableaux[133], ou de l’idée qu’il ait pu dénaturer ou « informaliser » Gutaï, désormais limité à sa dimension exclusivement picturale[134] et éloigné de sa vocation expérimentale[135].

Figure 24 : Sōfū Teshigahara, Michel Tapié et Georges Mathieu lors du vernissage de l’exposition Teshigahara en octobre 1961 à la galerie Stadler.

L’éloignement

En octobre 1957, peu après son retour du Japon, Mathieu prévient Tapié qu’il lui retire l’exclusivité de la vente de ses œuvres à Paris, au profit de Carlo Cardazzo, de la Galleria del Naviglio à Milan. Justifiant n’avoir « plus eu de [ses] nouvelles »[136], il se voit « obligé de désétablir [leurs] rapports ». Il souhaite que Tapié s’entende avec Cardazzo, et conclut sur un ton doux-amer « P.S. : Je me souviens qu’on se TU TU, je t’aime bien tu sais ? ».

Dans un article traduit en japonais par Tōru Haga et paru dans Bijutsu techō (carnet d’art) en décembre 1957[137], Michel Tapié tire les conclusions de son premier voyage au Japon. Il cite de nombreux artistes, omettant celui de Georges Mathieu et laissant transparaître l’étiolement de leur collaboration. Toutefois, Tapié continuera à exposer les œuvres de Mathieu, comme peu après en avril 1958[138] à l’exposition La nouvelle peinture dans le monde : l’informel et Gutaï[139] dans le grand magasin Takashimaya à Ōsaka, mêlant artistes japonais de Gutaï, artistes informels européens et américains.

Quant à Georges Mathieu, il fera de Tapié le « représentant exclusif de ses intérêts au Japon et en Orient (à l’exception de la Syrie et du Liban) à partir du 1er juin 1958 pour une durée minimum d’une année »[140]. À partir de 1957, Mathieu est également représenté par l’agent Maurice d’Arquian, qui dirige la galerie internationale d’art contemporain à Paris, la galerie Interart à Zurich, la galerie Hélios Art à Bruxelles et la galerie d’art latin à Stockholm.

Les chemins de Mathieu et Tapié finiront par s’éloigner au titre de considérations commerciales et de désaccords théoriques — Mathieu les entérinera en 1963 dans son livre Au-delà du tachisme[141] et en 1964 dans son article Mise au point sur l’art informel[142] — même s’il leur arrivera de se recroiser à la galerie Stadler.

Figure 25 : Michel Tapié et Georges Mathieu lors du vernissage de l’exposition Lucio Fontana – Christo Coetzee en mars – avril 1959, archives de la galerie Stadler

Abstraction lyrique, informel et art autre : convergences et divergences théoriques

Les notions d’informel et d’art autre de Tapié ont progressivement divergé avec l’abstraction lyrique de Mathieu, qui reprochera à Tapié de refuser « autant la clarté que la précision »[143] et qualifiera l’informel de « sous-produit »[144] répétant les « gestes de libération à un moment où il n’y a plus rien à libérer ».

De l’importance de la signifiance

Soucieux de définir l’abstraction lyrique, Mathieu détaille en 1951, la même année que l’exposition collective Signifiants de l’informel organisée par Tapié au Studio Facchetti, les tenants et aboutissants d’une calligraphie abstraite[145] dans le texte Esquisse d’une embryologie des signes[146]. Il y souligne la contradiction commise par Tapié à vouloir associer signifiants et Informel, ce premier concept ne pouvant être que l’évolution naturelle du second auquel il ne se sent pas appartenir :

« L’Art étant langage, le Signe est son élément premier. […] En lançant dans le monde le vocable de l’informel pour caractériser certains aspects de la peinture d’aujourd’hui, Michel Tapié fit preuve du plus lucide machiavélisme. L’expression “signifiants de l’Informel” est, en effet, en soi un non-sens. L’Informel est, par définition, non-signifiant. »

Mathieu décrit, que ce soit dans son texte ou par les schémas et les formules quasi mathématiques qui l’agrémentent, les six phases que traversent cycliquement les mouvements picturaux, et y classe différents artistes. La phase I, dite de la recherche des signes, est celle de l’abstraction lyrique à ses débuts, de Wols et de Michaux. La phase II, dite de l’incarnation ou de la reconnaissance des signes, est celle de l’évolution de l’abstraction lyrique, de Hartung, de Capogrossi, et permet l’efficacité maximale. La phase III, dite du formalisme ou de l’académisme, celle de Mondrian, représente l’écueil vers lequel mène l’utilisation de « moyens connus et saturés ». La phase IV, dite du baroque, est celle du raffinement du signe, de l’exagération et de la déformation, dans laquelle Mathieu classe le surréalisme. La phase V, dite de la destruction des signes, est celle de Picasso et de Dubuffet. La phase VI, dite de l’informel, est celle de Pollock, Tobey et Rothko, qui « prépare les nouvelles voies » et n’est qu’une « période intermédiaire ». Pour Mathieu, la signification et le style de l’abstraction lyrique lui permettent d’atteindre une efficacité maximale, supérieure à celle de l’informel, elle-même supérieure à celle de l’académisme, du baroque, et de la destruction des signes.

Figure 26 : Schéma extrait d’Esquisse d’une embryologie des signes, Georges Mathieu, 1951

Figure 27 : Schéma extrait d’Esquisse d’une embryologie des signes, Georges Mathieu, 1951

La contradiction entre les signifiants, donc les signes, et l’informel, donc l’absence de formes, est encore présente dans le titre et le contenu de l’exposition « Signes autres » organisée par Tapié en 1955 à la galerie Rive Droite, ce que relève le journal Le Monde le 4 février 1955 : « Il y a peut-être quelque ambiguïté à ranger sous une même bannière, celle de “signes autres”, des peintres dont les préoccupation, au départ, étaient aussi individuelles que celle d’un Tobey et d’un Mathieu, d’un Michaux et d’un Bryen, d’un Wols et d’un Jenkins. Primauté de l’informel ? Une des toiles les plus séduisantes est pourtant une des plus “formées”, précisément : celle de Mathieu […] »

De la nécessaire distinction du figuratif et de l’abstrait

Un deuxième dissensus porte sur la pertinence d’entrevoir un avenir à la figuration. Ainsi, lors de l’organisation de l’exposition Véhémences confrontées, Mathieu, qui dit être « le premier peintre non figuratif [que Tapié] aime » et affirme être « responsable de sa conversion »[147], refuse « la participation des peintres figuratifs plus ou moins expressionnistes chers à Tapié »[148] « qui confond volontiers les peintres figuratifs et les abstraits »[149]. Mathieu regrette par la suite la confusion causée par le mélange de peintres figuratifs et non figuratifs organisé par Tapié pour l’exposition Signifiants de l’informel.[150]

On en trouve une autre illustration dans les jugements opposés portés par Mathieu et Tapié sur le retour à la figuration de Jackson Pollock. Mathieu se dit « grandement désappointé » par Pollock qu’il a « loué et défendu tellement ici à Paris depuis six ans (il [lui] semblait l’équivalent de Wols en Amérique) […] La Non-Figuration a remplacé la Figuration, maintenant l’Expressivité a remplacé la Beauté. Parmi les pionniers de cette magnifique aventure, Jackson Pollock à New York et Wols à Paris semblent avoir été les plus audacieux. L’exposition récente de Pollock à Paris révèle qu’il a abandonné l’aventure : il est retourné à la Figuration ! »[151] Mathieu fait alors référence à certaines toiles de Pollock exposées par Tapié au Studio Facchetti en mars 1952. Dans Un art autre, parlant de Pollock, Tapié réplique directement à Mathieu sans le nommer : « Et voici sa période actuelle, où un retour au figuratif n’a pas fini de mettre le public en défiance et de remuer la mauvaise conscience d’artistes pour qui sectarisme intransigeant est trop synonyme de garantie qualitative. […] D’autant qu’ici, une fois de plus, toutes ces querelles de figuration ou de non-figuration n’ont que faire. Ce nouveau sort au Figuré n’interrompt pas plus la continuité de son aventure que son renoncement au Figuré de 1945. »

De la pertinence des critères de qualité et de quantité

Le débat entre Mathieu et Tapié se noue enfin autour de la pertinence d’une exigence de qualité et de quantité. Si Tapié reconnaît que « trop souvent maintenant une volonté d’informalisation[152] tient lieu d’alibi de bon aloi pour ceux […] qui, n’ayant absolument rien à exprimer ni à transmettre, veulent toutefois faire carrière dans l’art »[153] et s’il déplore « tellement de médiocres de tous acabits » dans l’art non-figuratif, il souhaite pour autant « donner toute sa chance à l’anarchie du RÉEL[154] »[155] et défend une sélection de plus en plus étendue et hétéroclite d’artistes rassemblés sous la même bannière informelle. En 1963, Mathieu parlera même de « gangrène “informelle” » dans son livre Au-delà du tachisme, relevant que Tapié aura proposé une liste de 108 artistes dans son texte Morphologie Autre de 1960. Tapié estimait pourtant en 1954 à une trentaine les « artistes indiscutables dans le monde en allant aux limites de l’indulgence »[156] voire à « quelques unités »[157] en 1958. L’inclusion dans une galaxie d’artistes si disparate ne contrarie pas que Mathieu, puisque Dubuffet la désapprouve dans une lettre à Tapié après la publication d’Un art autre en 1952 : « Je ne suis pas “informiste”, “véhémentiste”, “éclaboussuriste” »[158].

En revanche pour Mathieu, « le transcendement des moyens par la qualité ou encore “le maximum d’expression par le minimum de moyens”, c’est-à-dire l’adéquation parfaite entre le contenu non littéral et la forme, restera le seul critère[159] [qu’il continuera] à défendre contre aussi bien Bryen que Tapié qui, lui, ouvrira toutes grandes les portes de l’anarchie informelle. »[160] Mathieu met cette différence sur le compte de l’esprit Dada de Tapié, « dans l’importance qu’il accorde à l’aventure en même temps que dans le peu de crédit qu’il accorde à la qualité. »[161].

Parfois, dans les paroles plus que dans les actes, Tapié semble donner raison à Mathieu[162], comme en 1957 : « Jamais la proposition d’aventure n’a été aussi périlleuse à affronter, aussi difficile à débrouiller que maintenant. Et tant mieux : jamais la voie possible n’avait été aussi large, l’aventure aussi généralisée, mais jamais ne s’était autant fait sentir l’exigence d’une extrême sinon inhumaine rigueur. »

La concurrence du tachisme

Mathieu maintient son attachement pour l’abstraction lyrique, qu’il incarne pleinement, le tachisme de Charles Estienne ne lui convenant pas plus que l’informel de Tapié qui en est le concurrent. Si l’on se limite à leurs strictes définitions intrinsèques, le terme de tachisme correspond mieux, quoique de façon incomplète, à l’œuvre de Mathieu que celui d’informel qui signifie absence de formes et donc de signes. Mathieu se revendiquera parfois de ce terme ultérieurement[163], mais il restera fidèle à son ami Tapié et hostile à Estienne à l’époque où ces deux options anti-géométriques et anti-académiques se confrontent : Estienne est accusé de récupération[164] pour le compte du surréalisme défendu par André Breton, et de revirement après avoir défendu l’abstraction géométrique. Une polémique éclate suite à l’article d’Estienne « Une révolution : le tachisme » paru en première page de Combat Art le 1er mars 1954, provoquant l’envoi de lettres de réponses par Tapié[165], Mathieu, Jaguer et Alechinsky. Il est par ailleurs intéressant de comparer la position de Mathieu et Tapié qui est celle d’un art global et ouvert à l’international, tandis que la position d’Estienne est celle de la construction d’une nouvelle école de Paris[166] et d’une identité artistique française moderne héritière de l’art celtique[167].

Une synthèse impossible

Les efforts de part et d’autre étant vains face à l’écart entre leurs positions, Mathieu concrétise le divorce intellectuel en incluant dans sa conférence prononcée le 27 novembre 1958 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles une version amendée de son portrait de Tapié écrit en 1951. Il clame que Tapié est « loin d’adhérer alors à l’Abstraction géométrique ou non », qu’il « ne voit dans l’art que son pouvoir magique et [qu’]il aime que celui-ci selon ses propres termes soit “stupéfiant” », qu’il « trouve mieux son compte avec Dubuffet qu’avec Wols », qu’il « continue de confondre la figuration et la non-figuration » et enfin qu’il « demande seulement à l’art d’être “autre” ». En 1963, il parlera de « cette peinture particulièrement non signifiante qui continue de faire la joie de quelques dilettantes décadents qui y voient toutes les latences “d’une esthétique en devenir” »[168], une allusion évidente à l’ouvrage de Tapié du même nom. Pour autant, Mathieu reconnaît que l’action de Tapié « n’a pas été inutile ; en découvrant il aura permis à d’autres de découvrir »[169].

Compagnons de route du renouveau artistique

Au-delà de leurs désaccords sur les définitions, les moyens et les visées, entre le brio intransigeant de l’un et les contradictions élégantes[170] de l’autre, Georges Mathieu et Michel Tapié partagèrent une décennie durant à la fois une amitié et des intérêts communs. Le prosélytisme[171] de Tapié dont Mathieu fut l’objet peut être comparé à celui du critique américain Clement Greenberg pour Pollock. Ce rare duumvirat peintre/critique, œuvrant dans une symbiose mutualiste, est à l’origine d’un défrichage pionnier du secteur artistique, chacun faisant appel à ses propres méthodes : l’activisme zélé pour Mathieu et le dilettantisme aventurier pour Tapié. Mathieu et Tapié, tous deux dandys d’ascendance aristocratique, autodidactes[172] aux goûts éclectiques, furent les plus efficaces acteurs et théoriciens du développement de la nouvelle abstraction d’après-guerre qui tournait le dos à tout académisme et refusait à dessein d’endosser le rôle d’école artistique. Si cette nouvelle abstraction fut finalement supplantée, dans l’imaginaire collectif et dans le paysage intellectuel et artistique, par l’expressionnisme abstrait[173] puis le rouleau compresseur du pop art d’outre-Atlantique, elle doit être redécouverte aujourd’hui à la lumière de la variété esthétique et conceptuelle de sa production picturale, à l’aune de son avant-gardisme, de ses développements internationaux et de ses ambitions universalistes, à la mesure de son irréfutable envergure.

— Édouard Lombard, Directeur du Comité Georges Mathieu

Une version résumée de cet essai est parue en octobre 2018 dans le catalogue d’exposition “Le grand Œil de Michel Tapié”, Coédition Applicat-Prazan / Editions Skira Paris.

[1] aussi appelée abstraction chaude par opposition à l’abstraction froide de l’école géométrique

[2] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 36

[3] Alfred Otto Wolfgang Schulze dit Wols (° 27 mai 1913 † 1er septembre 1951)

[4] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 35

[5] en italique dans le texte

[6] Paru, septembre 1947, n° 34

[7] Combat, 16 octobre 1947

[8] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 46

[9] Michel Tapié ne participe pas à l’organisation de l’exposition L’imaginaire, pas plus qu’à celle de l’exposition H.W.P.S.M.T.B., comme l’indique abusivement l’addendum de la réédition par Artcurial en 1994 de l’ouvrage de 1952 de Michel Tapié Un art autre. Mathieu le note d’ailleurs, de deux « Non » lapidaires, en marge de l’exemplaire de cet ouvrage présent dans ses archives personnelles.

[10] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 52

[11] inauguré par Jean Dubuffet, renommé Compagnie de l’Art Brut à l’automne 1948 à l’occasion de son transfert dans un pavillon prêté par l’éditeur Gaston Gallimard, et suscitant le scepticisme de Mathieu : « Par la création machiavélique de la “Compagnie de l’Art Brut” dans les sous-sols de la Galerie où l’on fera semblant de s’intéresser à l’œuvre des humbles, des déshérités, des naïfs et des fous, Dubuffet se révélera comme un homme d’affaires né. » (Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 44)

[12] dans les sous-sols de sa galerie, place Vendôme à Paris

[13] ultérieurement dénommée Florence Houston-Brown, à laquelle Mathieu reprochera d’avoir abandonné plus tard « la défense des pointes extrêmes de la peinture » en s’associant avec Michel Seuphor

[14] déjà employé en 1945 dans la Voix de Paris par le critique conservateur Jerzy Waldemar Jarociński, dit Waldemar-George, à propos de Fautrier (Frédérique Villemur et Brigitte Pietrzak, Paul Facchetti, le Studio, art informel et abstraction lyrique, 2004, Éd. Actes Sud, p. 14 ; Serge Guilbaut, Disdain for the Stain: Abstract Expressionism and Tachisme, p. 41, in Abstract Expressionism, The International Context, Rutgers University Press, 2007), puis par Jean Dubuffet en 1946 dans ses Notes pour les fins-lettrés, dont le premier texte est titré Partant de l’informe ; l’écrivain Georges Bataille y a recours dès 1929 dans son Dictionnaire critique : « Un dictionnaire commencerait à partir du moment où il ne donnerait plus le sens mais les besognes des mots. Ainsi informe n’est pas seulement un adjectif ayant tel sens mais un terme servant à déclasser, exigeant naturellement que chaque chose ait sa forme. » (revue Documents, n°7, décembre 1929)

[15] pour l’exposition Véhémences confrontées

[16] et prendra parti plus précisément « pour Fautrier contre Dubuffet, et certainement pour Mathieu et Hartung contre Soulages et Schneider » (Pierre Restany, Une vie dans l’art, 1983, Éd. Ides et Calendes, p. 8)

[17] Pierre Restany, Lyrisme et Abstraction, 1960, Éd. Apollinaire, p. 51

[18] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 61

[19] La seule exposition personnelle de Mathieu qui précède celle à la galerie Drouin fut celle à la librairie Dutilleux à Douai en 1942. Le duo Mathieu et Looten sera présenté à nouveau par Tapié à Lille en avril 1953 à la galerie Marcel Évrard.

[20] dans une mise en page avant-gardiste que Mathieu continuera d’utiliser durant la décennie, dans la revue United States Lines Paris Review qu’il créera en 1953

[21] Spotlight, cité par Daniel Abadie dans le catalogue d’exposition de la rétrospective Mathieu au Jeu de Paume, 2003, p. 262

[22] souligné dans le texte

[23] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 208

[24] qui fait circuler le paquebot America sur la ligne Le Havre–New York

[25] Mathieu affirme être « le premier à les mentionner à Estienne, à Jaguer, à Guilly, à Tapié » (Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 59)

[26] « Mathieu pressed them [Charles Egan, Julien Levy, and Betty Parsons] but obtained only a few, unimpressive works on paper » (Catherine Dossin, The Rise and Fall of American Art, 1940-1980, 2015, Éd. Ashgate, p. 61)

[27] notamment grâce au prêt par l’artiste américain Alfonso Ossorio d’œuvres sur toile de Pollock et De Kooning provenant de sa collection personnelle

[28] Pierre Restany, Une vie dans l’art, 1983, Éd. Ides et Calendes, p. 6

[29] À ce titre, le titre de la préface que Tapié rédigera pour le catalogue de la première exposition en mars 1952 de Jackson Pollock en Europe, « Pollock avec nous », est assez emblématique. Il y déclarera avoir voulu, à travers cette exposition, « lancer une telle bombe dans le monde artistique parisien trop souvent sûr, quant à lui, d’une garantie de tout repos » (Frédérique Villemur et Brigitte Pietrzak, Paul Facchetti, le Studio, art informel et abstraction lyrique, 2004, Éd. Actes Sud, p. 96).

[30] cf. Michel Tapié, Un art autre, 1952, Éd. Gabriel-Giraud et fils

[31] 119 x 160 cm, actuellement dans les collections du Centre Pompidou / MNAM, Paris, peinte par Georges Mathieu en 1950 la nuit de la mort de sa mère, de même qu’Hommage à la mort

[32] L’imaginaire, H.W.P.S.M.T.B. et White and Black

[33] en majuscules dans le texte

[34] « Dix jours plus tard, mon marchand me demande de lui faire quelques toiles. Le seul endroit qu’il trouve comme atelier est le quatrième sous-sol de l’ancien Hôtel Ritz-Carlton au 400 Madison Avenue. » (Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 64)

[35] « J’ai compris en 1957 lors de mon arrivée à New York, que mon marchand Sam Kootz ne tenait pas à ce que la presse américaine put me voir peindre sous le prétexte que si le public me voyait peindre il ne vendrait aucun tableau. En réalité, il s’agissait d ’une conjuration tacite entre les peintres de Kootz pour que je n’apparaisse pas comme un trop dangereux concurrent. » (Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 47)

[36] lettre du 26 mai 1952, Archives Michel Tapié, Bibliothèque Kandinsky, Paris, traduite par Juliette Évezard pour le catalogue d’exposition L’aventure de Michel Tapié, un art autre, Luxembourg, 2016

[37] l’ancêtre de The Paris Review

[38] Georges Mathieu, Portrait of the Critic, Paris News Post, juin 1951

[39] dont le nom intégral est Georges Victor Adolphe Mathieu d’Escaudœuvres

[40] Tapié est en effet contrebassiste à la Rose Rouge, et Dubuffet, dont il est voisin, séduit par son intelligence et gêné par le bruit de l’instrument, l’aurait recommandé à René Drouin, cf. Frédérique Villemur et Brigitte Pietrzak, Paul Facchetti, le Studio, art informel et abstraction lyrique, 2004, Éd. Actes Sud, p. 71

[41] lettre du 10 janvier 1951, Archives Michel Tapié, Bibliothèque Kandinsky, Paris, citée par Juliette Évezard pour le catalogue d’exposition L’aventure de Michel Tapié, un art autre, Luxembourg, 2016

[42] cf. Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 73

[43] 2 m x 4 m, actuellement dans les collections du Centre Pompidou / MNAM, Paris

[44] Kristine Stiles, Peinture, photographie, performance : le cas de Georges Mathieu, catalogue d’exposition de la rétrospective Mathieu au Jeu de Paume, 2003, p. 77

[45] Frédérique Villemur et Brigitte Pietrzak, Paul Facchetti, le Studio, art informel et abstraction lyrique, 2004, Éd. Actes Sud, p. 27

[46] actuellement dans la collection privée Lagardère à Paris

[47] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 101

[48] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 97

[49] lettre du 31 mars 1951, Archives Michel Tapié, Bibliothèque Kandinsky, Paris, citée par Juliette Évezard, dans le catalogue Hartung et les peintres lyriques, Éd. Fonds Hélène et Edouard Leclerc, Landerneau, 2016, p. 39

[50] par Stuart Preston le 9 novembre 1952, cf. Daniel Abadie, catalogue d’exposition de la rétrospective Mathieu au Jeu de Paume, 2003, p. 263

[51] un texte, dont la version initiale date de 1949, dans lequel Mathieu voit dans l’art comme le dernier refuge « où les notions d’efficacité et de gratuité cessent d’apparaître simultanément antinomiques »

[52] où figurent Bryen, Donati, Gillet, Philippe Martin, Mathieu, Pollock, Riopelle et Serpan

[53] où figurent Appel, Arnal, Dubuffet, Glasco, Guiette, Michaux, Ossorio, Pollock et Ronet

[54] sous-titré « où il s’agit de nouveaux dévidages du réel » et qu’une citation d’André Malraux utilisée en épigraphe semble placer sous son autorité intellectuelle

[55] Michel Tapié, Un art autre, 1952, Éd. Gabriel-Giraud et fils

[56] ce qui en fait l’artiste le plus représenté

[57] en italique dans le texte

[58] en italique dans le texte

[59] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 81

[60] Michel Tapié, Un art autre, 1952, Éd. Gabriel-Giraud et fils

[61] en italique dans le texte

[62] « Mais au rythme infernal de l’épopée actuelle où les séries s’épuisent vite, l’ambiguïté seule peut sauver l’art des pièges académiques » (Michel Tapié, Un art autre, 1952, Éd. Gabriel-Giraud et fils)

[63] comme le démontrent ses graphiques et théories dans Esquisse d’une embryologie des signes en 1951

[64] Michel Tapié, Un art autre, 1952, Éd. Gabriel-Giraud et fils

[65] cf. Serge Guilbaut, Disdain for the Stain: Abstract Expressionism and Tachisme, p. 35, in Abstract Expressionism, The International Context, Rutgers University Press, 2007

[66] actuellement dans les collections du Centre Pompidou / MNAM, Paris

[67] ou « studio Pathé Frères de la rue Marcadet » (Georges Mathieu, Désormais seul en face de Dieu, 1998, Éd. L’Âge d’Homme, p. 215)

[68] Michel Tapié de Céleyran, 1214, la Bataille de Bouvines, 1954

[69] dans la même rubrique qui avait fait paraître en mai 1951 Pollock Paints a Painting

[70] ce qui ne manquera pas d’exposer Tapié aux mêmes critiques aux États-Unis que Mathieu, cf. Dore Ashton, Mathieu et les autres, catalogue d’exposition de la rétrospective Mathieu au Jeu de Paume, 2003, p. 57

[71] Michel Tapié de Céleyran, 1214, la Bataille de Bouvines, 1954

[72] cf. interview de Georges Mathieu par Daniel Abadie, La peinture et le samurai, catalogue de l’exposition Gutaï, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1999, p. 44

[73] Xavier Girard, interview de Jean Larcade, « Jean Larcade, la galerie rive droite », Art Press, juillet 1988, p. 33

[74] 2,95 m x 6 m, actuellement dans les collections du Centre Pompidou / MNAM, Paris

[75] Xavier Girard, interview de Jean Larcade, « Jean Larcade, la galerie rive droite », Art Press, juillet 1988, p. 34

[76] texte rédigé par Mathieu le 27 avril 1987, puis publié le 11 septembre suivant dans la revue Dynastie à l’occasion du millénaire capétien, cf. Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 499

[77] Xavier Girard, interview de Jean Larcade, « Jean Larcade, la galerie rive droite », Art Press, juillet 1988, p. 34

[78] hébergé désormais par le Centre Pompidou

[79] cf. Daniel Abadie, catalogue d’exposition de la rétrospective Mathieu au Jeu de Paume, 2003, p. 264

[80] texte original publié en anglais : « That the method used recalls to my mind aesthetics of the Far East is too evident as no traces of a craft-approach are to be seen and the spectator is taken into an immediacy which at first one might find very disconcerting or attempt to dismiss. »

[81] Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 56

[82] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 97

[83] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 133

[84] Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 57

[85] 2 m x 4 m, actuellement dans les collections du Krannert Art Museum, University of Illinois, Urbana-Champaign

[86] cf. Ring des Arts, n°1, Cercle d’Art Contemporain, 1960

[87] en gras dans le texte

[88] qui montre son intérêt pour le passage sus-cité en le soulignant

[89] archives du Comité Georges Mathieu

[90] publié par George Wittenborn à New York

[91] le peintre américain Paul Jenkins ayant obtenu sa première exposition personnelle au Studio Facchetti en 1954

[92] mais prend soin de retirer sa référence au « cynique du dilettantisme »

[93] texte original publié en anglais : « His activity during the last ten years reveals itself as of major importance. […] Michel Tapié will have had the great merit of venturing into this domain with extraordinary capacities of investigation and lightning insight. »

[94] Galerie Stadler, 30 ans de rencontres, de recherches, de partis pris, 1955-1985, 1985, p. 6

[95] cf. Thomas R. H. Havens, Radicals and Realists in the Japanese Nonverbal Arts: The Avant-garde Rejection of Modernism, 2006, Éd. University of Hawaii Press, p. 93

[96] cf. Shoichi Hirai, Paris et l’art Japonais depuis la guerre – Réflexions autour des tendances des années 1950

[97] cf. Thomas R. H. Havens, Radicals and Realists in the Japanese Nonverbal Arts: The Avant-garde Rejection of Modernism, 2006, Éd. University of Hawaii Press, p. 94

[98] Kōichi Kawasaki, Le séjour de Georges Mathieu au Japon, catalogue d’exposition de la rétrospective Mathieu au Jeu de Paume, 2003, p. 90

[99] 具体 qui, composé des idéogrammes signifiant « outil » et « corps », signifie « concret » en japonais

[100] cf. Ming Tiampo, Gutai – Decentering Modernism, 2011, Éd. University of Chicago Press, p. 91

[101] Jirō Yoshihara, Gutai bijutsu sengen, Geijutsu Shinchō, décembre 1956

[102] qui deviendra en 1959 le premier directeur du Musée national d’art occidental à Tokyo, cf. Réna Kano, sous la direction de Didier Schulmann, Georges Mathieu, Voyage et peintures au Japon, août, septembre 1957, mémoire d’étude, 2009 ; il affirmera que Mathieu est « le plus grand peintre français depuis Picasso » (Patrick Grainville et Gérard Xuriguera, Mathieu, 1993, Nouvelles Éditions Françaises)

[103] cf. Ming Tiampo, Gutai – Decentering Modernism, 2011, Éd. University of Chicago Press, p. 91

[104] en italique dans le texte

[105] en italique dans le texte

[106] en italique dans le texte

[107] interview de Georges Mathieu par Réna Kano le 31 mars 2009, cf. mémoire d’étude sous la direction de Didier Schulmann, Georges Mathieu, Voyage et peintures au Japon, août, septembre 1957, 2009

[108] installé à Paris depuis 1952, il se joint à Mathieu et Tapié au Japon

[109] cf. Éric Mézil, « Nul n’est prophète en son pays », le cas de Michel Tapié, catalogue de l’exposition Gutaï, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1999, pp. 30-31

[110] cf. Arrivée au Japon de l’artiste français unique (Futuno Isyokugaka Raïnichi), Yomiuri Shimbun, 30 août 1957

[111] cf. Shūzō Takiguchi, Georges Mathieu, Sansaï, n° 92, octobre 1957, cité par Réna Kano, sous la direction de Didier Schulmann, Georges Mathieu, Voyage et peintures au Japon, août, septembre 1957, mémoire d’étude, 2009

[112] Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 63

[113] également intitulée Bataille de Kōan, sachant qu’il s’agit de la seconde bataille de la baie de Hakata, en 1281

[114] qui ouvrira en 1958 pour abriter la nouvelle création, cf. Réna Kano, sous la direction de Didier Schulmann, Georges Mathieu, Voyage et peintures au Japon, août, septembre 1957, mémoire d’étude, 2009

[115] Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 63

[116] sachant qu’il s’agit de la première bataille de la baie de Hakata, en 1274

[117] le quotidien japonais le plus lu

[118] Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 63 ; œuvre aussi appelée Hideyoshi Toyotomi

[119] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 129

[120] cf. Marie-Claude Dane, catalogue de l’exposition personnelle de Mathieu au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 1963

[121] cf. Ming Tiampo, Gutai – Decentering Modernism, 2011, Éd. University of Chicago Press, p. 137

[122] cf. Réna Kano, sous la direction de Didier Schulmann, Georges Mathieu, Voyage et peintures au Japon, août, septembre 1957, mémoire d’étude, 2009

[123] « Je dois dire que je ne pouvais pas adhérer à ce qui m’apparaissait comme un jeu qui, pour moi, ressemblait plus à un carnaval […] Je veux bien que le mouvement Gutaï relève de la fête, mais il ne relève pas de l’art à mes yeux. » (interview de Georges Mathieu par Daniel Abadie, La peinture et le samurai, catalogue de l’exposition Gutaï, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1999, p. 45)

[124] un objectif semblant inatteignable à Tapié, cf. Autour de M. Tapié et M. Mathieu (Tapié, Mathieu ryoushi wo kakonde), Ikebana Sogetsu, n°15, octobre 1957, cité par Réna Kano, sous la direction de Didier Schulmann, Georges Mathieu, Voyage et peintures au Japon, août, septembre 1957, mémoire d’étude, 2009

[125] Réna Kano, sous la direction de Didier Schulmann, Georges Mathieu, Voyage et peintures au Japon, août, septembre 1957, mémoire d’étude, 2009

[126] ibidem

[127] Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 63

[128] ibidem

[129] ainsi que pour accueillir Sam Francis qui arrive le 20 septembre pour son exposition

[130] cf. Shoichi Hirai, Paris et l’art Japonais depuis la guerre – Réflexions autour des tendances des années 1950

[131] Kōichi Kawasaki, Le séjour de Georges Mathieu au Japon, catalogue d’exposition de la rétrospective Mathieu au Jeu de Paume, 2003, p. 95

[132] Ming Tiampo, Gutai – Decentering Modernism, 2011, Éd. University of Chicago Press, p. 7

[133] cf. Shoichi Hirai, Paris et l’art Japonais depuis la guerre – Réflexions autour des tendances des années 1950 ; cf. propos violents de Jean Fautrier (il qualifie Tapié, et accessoirement Mathieu, de gangster) rapportés par Hisao Dōmoto et reproduits dans Éric Mézil, « Nul n’est prophète en son pays », le cas de Michel Tapié, catalogue de l’exposition Gutaï, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1999, pp. 40-41

[134] cf. Marc Dachy, Dada au Japon, Éd. PUF, 2002, p. 133; cf. Alexandra Munroe, Japanese Art after 1945: Scream Against the Sky, 1994, p. 100

[135] Shōzō Shimamoto cité par Federica Franceschini, Gutai without Frontiers, pp. 6-7

[136] lettre dans les Archives Michel Tapié, Bibliothèque Kandinsky, Paris, telle que citée par Juliette Évezard, dans le catalogue Hartung et les peintres lyriques, Éd. Fonds Hélène et Edouard Leclerc, Landerneau, 2016, p. 47

[137] écrit le 15 octobre 1957 et reproduit dans Collectif, From Postwar to Postmodern, Art in Japan, 1945-1989, 2012, MoMA, pp. 99-101

[138] cf. Alexandra Munroe, All the Landscapes, Gutai’s World, catalogue Gutai, Splendid Background, Solomon R. Guggenheim Museum, 2013

[139] dont le catalogue est le 9ème numéro de la revue Gutaï et précédée d’une conférence de Tapié « What is New Art? », cf. Ming Tiampo, Gutai – Decentering Modernism, 2011, Éd. University of Chicago Press, p. 104

[140] lettre de Georges Mathieu à Michel Tapié, mai 1958, citée par Éric Mézil, « Nul n’est prophète en son pays », le cas de Michel Tapié, catalogue de l’exposition Gutaï, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1999, p. 38

[141] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard

[142] Revue Preuves, n° 159, mai 1964, reproduit dans Georges Mathieu, De la révolte à la renaissance, 1973, Éd. Gallimard, pp. 355-362

[143] Georges Mathieu, De l’abstrait au possible – Jalons pour une exégèse de l’art occidental, 1959, Éd. du Cercle d’Art Contemporain, p. 38

[144] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 79

[145] André Malraux avait qualifié Mathieu de premier « calligraphe occidental » après avoir vu ses œuvres à la galerie Drouin.

[146] Georges Mathieu, Au-delà du Tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 164

[147] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 57

[148] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 66

[149] Georges Mathieu, D’Aristote à l’abstraction lyrique, L’Œil, n°52, avril 1959

[150] cf. Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 80

[151] Déclaration aux peintres d’avant-garde américains, avril 1952, reproduit dans Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 177

[152] en italique dans le texte

[153] catalogue d’exposition Les Capétiens partout, galerie Rive Droite, 1954

[154] en majuscules dans le texte

[155] affiche-manifeste de l’exposition Véhémences confrontées, 1951

[156] catalogue d’exposition Les Capétiens partout, galerie Rive Droite, 1954

[157] Michel Tapié en octobre 1958, cité par Georges Mathieu, De l’abstrait au possible – Jalons pour une exégèse de l’art occidental, 1959, Éd. du Cercle d’Art Contemporain, p. 32

[158] lettre du 21 décembre 1952, Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, réunis et présentés par Hubert Damisch, 4 vol., Paris, Gallimard, 1995, citée par Frédérique Villemur et Brigitte Pietrzak, Paul Facchetti, le Studio, art informel et abstraction lyrique, 2004, Actes Sud, p. 70

[159] en italique dans le texte

[160] Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 53

[161] Georges Mathieu, De l’abstrait au possible – Jalons pour une exégèse de l’art occidental, 1959, Éd. du Cercle d’Art Contemporain, p. 31

[162] cf. Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 82

[163] « 1954 voit le triomphe du tachisme. Le tachisme que j’incarne depuis 1951 (cf. Blanche de Turenne) verra son influence s’épanouir même sur mes prédécesseurs. » (Georges Mathieu, 50 ans de création, 2003, Éd. Hervas, p. 550)

[164] notamment par Pierre Guéguen qui dit d’Estienne en 1953, sous le titre Le Bonimenteur de l’Académisme tachiste, qu’il se « drape modestement dans la peau du Surréalisme […] dont il attire à lui, tout doux, les couvertures » (Georges Mathieu, Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 86)

[165] dont une première version peut-être absconse est jugée « impubliable », ibidem

[166] Il est le premier à instituer cette appellation pour son exposition de 1952 « Peintres de la Nouvelle École de Paris » à la galerie de Babylone.

[167] cf. Serge Guilbaut, Disdain for the Stain: Abstract Expressionism and Tachisme, p. 40, in Abstract Expressionism, The International Context, Rutgers University Press, 2007

[168] cf. Au-delà du tachisme, 1963, Éd. Julliard, p. 130

[169] Georges Mathieu, De l’abstrait au possible – Jalons pour une exégèse de l’art occidental, 1959, Éd. du Cercle d’Art Contemporain, p. 32

[170] pour reprendre les termes de Pierre Guéguen, Aujourd’hui, n°6, 1956

[171] cf. Frederick Gross, Mathieu Paints a Painting, 2002, City University of New York

[172] Tapié a tout de même suivi les cours de l’Académie Moderne dirigée par Fernand Léger et Amédée Ozenfant, cf. Éric Mézil, « Nul n’est prophète en son pays », le cas de Michel Tapié, catalogue de l’exposition Gutaï, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1999, p. 26

[173] qui fut défendu par un efficace réseau d’influence et favorisée par une fragmentation et une absence de consensus en France et en Europe, cf. Serge Guilbaut, Disdain for the Stain: Abstract Expressionism and Tachisme, p. 39, in Abstract Expressionism, The International Context, Rutgers University Press, 2007