Les Capétiens partout ! (1954)

Aujourd’hui conservé parmi les collections du Centre National d’Art Moderne – Georges Pompidou à Paris, Les Capétiens partout ! est souvent désigné comme l’un des chefs-d’œuvre de Georges Mathieu qui, pendant les années 1950, fit du Moyen-Âge féodal et royal l’un de ses sujets favoris à l’heure de peindre et de nommer ses créations. A ce sujet, il écrivit que « le goût pour la peinture d’Histoire ou plus simplement pour l’association de titres tirés de l’Histoire de France pour [ses] tableaux [lui] vint vers 1950 ».

Réalisée le 10 octobre 1954, cette toile de 3 x 6 mètres est sa seconde toile monumentale ; la première étant la Bataille de Bouvines, peinte durant le mois d’avril de la même année. Les Capétiens partout ! fut montrée pour la première fois au public avec quatorze autres toiles, à l’occasion d’une exposition personnelle de Georges Mathieu, qui se tenait à la Galerie Rive Droite du 5 au 30 novembre 1954.

L’élection de Hugues Capet

Au travers d’un texte rédigé le 27 avril 1987, puis publié le 11 septembre suivant dans la revue Dynastie à l’occasion du Millénaire Capétien, le peintre raconte les circonstances qui menèrent à la création de ce tableau. Il révèle ainsi que ce fut la découverte de la résidence de Jean Larcade, aussi propriétaire de la Galerie Rive Droite, qui lui inspira la thématique du couronnement de Hugues Capet pour son œuvre.

Ce fut probablement la découverte du château de Jean Larcade à Saint-Germain-en-Laye qui en raison de l’exceptionnelle concentration historique que représentait son parc me détermina à choisir l’événement le plus important de l’Histoire de France […] comme thème-prétexte du tableau le plus important de l’exposition que je préparais.

De cette résidence et de son parc, Mathieu fit une longue et précise description. Il expliqua aussi que « Hugues Capet incarnait pour [lui] l’un des plus beaux mythes de notre Histoire avec Charlemagne et les Croisades. »

Plusieurs personnes assistèrent à la création des Capétiens partout !, dont Gabrielle Smith et Dmitri Kessel, reporters pour le magazine américain Life qui avait souhaité réaliser un reportage sur le travail de Mathieu. Un film fut tourné pendant l’exécution du tableau, témoignant des gestes du peintre sur la toile face à lui, installée sur le parterre de dalles mérovingiennes du parc. L’artiste poussa la symbolique de la réalisation de son œuvre jusqu’au détail temporel, puisqu’il la peignit en l’espace d’une heure et vingt minutes. Cette durée correspond à celle de la cérémonie du couronnement de Hugues Capet.

Le signe abstrait

L’inscription de signes abstraits sur la toile en une courte durée est l’une des marques de fabrique de Georges Mathieu, comme une seconde signature. Ceci n’est pas sans relation avec la calligraphie extrême-orientale, à laquelle il put être associé entre la fin des années 1950 et le début des années 1960. D’ailleurs, le peintre abstrait américain Mark Tobey (1890-1976) fit remarquer ce lien à l’esthétique extrême-orientale dans le catalogue de l’exposition où elle fut montrée pour la première fois, à la galerie Rive Droite en 1954.

That the method used recalls to my mind aesthetics of the Far East is too evident as no traces of a craft-approach are to be seen and the spectator is taken into an immediacy which at first one might find very disconcerting or attempt to dismiss.

Traduction :

Que la méthode employée me rappelle l’esthétique de l’Extrême-Orient est trop évident car on ne peut voir aucune trace d’une approche artisanale et le spectateur est pris dans une immédiateté qu’on pourrait, dans un premier temps, trouver très déconcertante ou tenter de rejeter.

Les Capétiens partout ! reflète une spontanéité précise et contrôlée du geste par l’artiste qui, de cette manière, révèle le sujet qui habite son œuvre. En 1987, il décrivit sa succession de mouvements sur la toile par ces propos :

Le premier signe s’imposa d’emblée : le globe surmonté d’une croix tracé à la main. Le premier coup de pinceau signifia une couronne et son rayonnement de plus en plus amplifié dans des auras de plus en plus distantes sur la gauche. Une tâche noire, la lettre I, puis une barre verticale s’affirment. Puis apparaissent les jaunes de chrome et les rouges de Chine. Est-ce l’or et la gloire, est-ce la passion et le sang ? Puis une autre couronne dorée, puis le commencement d’un long travail au tube direct, alterné avec des touches au pinceau. Certains crurent lire le mot ‘Capel’ encore lisible aujourd’hui. Après une heure vingt l’œuvre était terminée.

Les Capétiens Rive Droite

Présenter Les Capétiens partout ! au public lors de son exposition dans la Galerie de Jean Larcade ne fut sans doute pas aisé, étant donné ses dimensions monumentales. Mathieu confia que la police fut mobilisée afin de faciliter son arrivée jusqu’au 82 rue du Faubourg Saint-Honoré, où se situait la galerie. Selon ses propos, la montée au second étage, où la toile occupa l’ensemble du mur de la seconde salle, fut « lente et dramatique ». Plusieurs photographies du cinéaste et photographe Robert Descharnes témoignent de l’événement, ainsi que plusieurs articles de presse.

Les Capétiens partout ! fut exposé pendant environ trois semaines avec quatorze autres œuvres que l’artiste avait peintes entre 1946 et 1954. Celles-ci furent réparties parmi trois salles. La première salle contenait Le Concile de Basles / Acognition (1947), Adalbéron exhortant les Grands à Senlis / Décadence rouge (1948), La destinée prodigieuse de Gerbert d’Aurillac (1950), Louis VI détruisant la commune de Laon / Désintégration (1946), Les cinq jours de Jean Ier le Posthume (1946), Un silence de Guibert de Nogent (1953), Grégoire IX excommuniant les bourgeois de Rheims (1953), Vivent les Cornificiens ! (1951) et La question pure (1954).

La seconde salle abritait Les Capétiens partout ! qui, posée sur pierre portant un blason, occupait l’ensemble d’un mur et, face à laquelle se trouvaient trois toiles : Noyon, ce Mercredi 1er juin (1952), « Qui reges deponerem, regesque ordinarem » (1953), Hommage à Adam du Petit Pont (1954). La troisième salle contenait Mont-Joie Saint Denis ! (1954), œuvre aujourd’hui conservée au MoMA (New York). Notons aussi la présence, indiquée par le catalogue de l’exposition, de l’œuvre dont la silhouette constitua par la suite les « armoiries » du peintre : « Moult de parte » (1949).