Le voyage en Israël et la période mystique de Georges Mathieu

Histoire

La présentation de la toile Ahinoam the Jezreelitess and Abigail the Carmelitess à la vente du 2 juin 2015 chez Sotheby’s à Paris nous donne l’occasion de revenir sur le voyage en 1962 de Georges Mathieu en Israël, à l’aide de la note détaillée du catalogue.

En mars 1962, durant ce qu’il est convenu d’appeler sa période mystique, Georges Mathieu se rendit à Jérusalem où il séjourna une dizaine de jours et peignit dix-huit toiles. Celles-ci furent présentées au Musée Bezalel de Jérusalem en mars-avril 1962, puis au Musée de Tel Aviv en novembre-décembre 1962.

Ahinoam the Jezreelitess and Abigail the Carmelitess fait référence à deux personnages féminins de l’Ancien Testament, Achinoam de Jezraël et Abigaïl de Carmel, les deux femmes du roi David, deuxième roi d’Israël. Ahinoam et Abigail sont citées dans le premier livre de Samuel au chapitre 27, où David se réfugie chez les Philistins. C’est de ce récit biblique que Georges Mathieu tira les titres de ses dix-huit toiles. Parmi elles, on trouve This is David’s spoilThe Lords of the Philistines passed on by hundreds and by thousandsThe Ark of God is sent to EkronAphekThe Philistines came to Gilgal et The Battle of Gilboa, cette dernière œuvre ayant été peinte en public. Il s’agit des rares œuvres pour lesquelles Georges Mathieu, qui fut brièvement professeur d’anglais lorsqu’il avait 22 ans, fit usage de la langue anglaise.

Dans le livret dédié à l’exposition de Jérusalem, le réputé poète et critique d’art John Ashbery écrit :

« (…) It is vital for us to decode the messages that Mathieu has set down for us —for our own good — in a ravishing cipher whose elegance is somehow connected with danger. But already the difficulty of the language, the speed with which things happen, the inexorable preciseness of the forms have given us a clue. And without realizing it we have already begun to live in his world — like our own with the difference that everything is carried to its extreme — a world of pure motion in which we are not always aware of what it is that lacerates us, that makes us rejoice. » *

Georges Mathieu, impressionné lors de son voyage par la grande ferveur mystique du peuple israélien, écrivit un Hommage à Israël publié dans le journal Combat en août 1962, puis dans le quotidien Haaretz et enfin dans la revue Ariel en juillet 1963. En voici un court extrait.

« S’il est trop facile de dire que de cette mer Morte — le lieu le plus bas du monde — l’on ne peut que s’élever vers le ciel et rencontrer Dieu, c’est une évidence que les hommes de cette terre où s’est imprimé le sceau de Salomon, plantée la Croix et penché le Croissant, sont plus que tous les autres pétris par les remous de la foi, soumis aux lois de la religion, cernés par l’auréole mystique, dans une fatalité obsessionnelle inexorablement interrogative. Ce qui est non moins évident, c’est que tout est mis en œuvre ici pour la rédemption de l’homme, et cela comme à son insu.

Je vous le dis, peuple d’Israël, et je vous le répète, je me sens avec vous en triple communion : en tant qu’homme, en tant qu’artiste, en tant qu’esprit. »

Le texte complet est disponible dans « Au-delà du Tachisme » (Éd. Julliard, 1963) et dans « De la révolte à la renaissance » (Éd. Gallimard, Collection Idées, 1973).

Édouard Lombard, Comité Georges Mathieu

* Traduction en français : « (…) Il est vital pour nous de décoder les messages que Mathieu nous a laissés — pour notre propre bien — dans un exaltant cryptogramme dont l’élégance est en quelque sorte associée au danger. Mais déjà la complexité de la langue, la vitesse où vont les choses, l’inexorable précision des formes nous ont donné un indice. Et sans nous en rendre compte nous avons déjà commencé à vivre dans son monde — similaire au nôtre à la différence que tout est poussé à son extrême — un monde de pur mouvement dans lequel nous ne sommes pas toujours conscients de ce qui nous déchire, de ce qui nous réjouit. »