Les critiques laudatives abondent dans la presse, appelant au retour de Georges Mathieu à la place qui lui revient dans l’Histoire de l’art, et accessoirement dans le marché de l’art. Gageons que cela est en train de se concrétiser, et débouchera bientôt sur une grande rétrospective qui saura restituer à l’international la juste valeur de la seconde École de Paris et celle de son plus flamboyant et révolutionnaire représentant.
Connaissance des Arts
N°731 (novembre 2014), page 100, dans la section « Les stars de l’art moderne », au côté d’une reproduction de Dante II (1958) :
À noter aussi, un vrai solo show moderne chez Applicat-Prazan, avec Georges Mathieu (« Peintures 1948-1959 »), suivi d’une exposition du 4 novembre au 20 décembre sur les deux sites parisiens de la galerie. « Calligraphe occidental » aux yeux de Malraux, et initiateur de l’Abstraction lyrique, Mathieu donnait une dimension sacrée, quasi rituelle de sa gestuelle. Véritable maestro de l’Action Painting à la française, Georges Mathieu a commencé à pratiquer le dripping en 1945, bien avant Pollock. Longtemps éclipsé par l’école américaine, il bénéficie aujourd’hui d’un nouveau regard mérité sur son œuvre. Une œuvre fiévreuse qui ne manquera pas d’interpeller et de provoquer l’effervescence…
Beaux Arts magazine
N°365 (novembre 2014), page 91, dans la section « 1 million et plus », sous une reproduction du Couronnement d’Étienne de Blois, comte de Boulogne et roi d’Angleterre (1956) :
Souvenez-vous, la pièce de 10 francs, c’était lui… La galerie Applicat-Prazan rend à Mathieu un plus juste hommage avec un solo show qui promet d’être détonnant !
Arts Magazine
N°92 (novembre 2014), pages 16 et 17, chronique de Stéphane Corréard intitulée Georges Mathieu le « mort-vivant », présentant des reproductions de La mort accidentelle de Louis d’Outremer (1954) et d’Açone (1948) :
« Morts-vivants » sont les artistes dont non seulement l’importance véritable n’apparaît qu’après leur disparition, mais dont l’influence va croissant. Parmi eux, certains sont des réprouvés, que l’Histoire a placés au purgatoire, voire en quarantaine. Après une brève période de gloire, ils doivent rester longtemps dans l’ombre avant de renaître.
Georges Mathieu pourrait disputer à Erich Von Stroheim le qualificatif d’artiste « que l’on aimerait haïr ». Depuis le musée national d’Art moderne en 1967, seul le Jeu de Paume (époque Daniel Abadie) lui a consacré une rétrospective réellement muséale, en 2002. C’est peu, pour un artiste mondialement célèbre. Mais il est des cas où le succès d’un créateur, voire sa légende, obscurcit l’influence de son œuvre. Concernant Mathieu, il conviendrait d’ajouter : et le folklore, et les dérives idéologiques. Et pourtant, l’overdose de la diffusion de sa graphie, si reconnaissable, et de la mise en scène médiatique de son personnage, prophétique jusqu’au délire, ne devrait être soumise qu’à une mesure, celle de l’importance capitale de son apport créatif, théorique et stratégique entre 1944 et 1964.
Autodidacte, globe-trotter et polyglotte, venu à l’art pictural via la philosophie, Mathieu place en effet d’emblée la peinture abstraite dans des perspectives radicalement nouvelles : abandon non seulement de la figure, mais aussi de la géométrie héritée de l’illusion perspectiviste, invention de la peinture-action et même du happening, mise en exergue de la rapidité d’exécution et des qualités sismographiques du geste, élaboration de signes qui « précèdent leur signification ». Développées dans des conférences et des ouvrages comme De l’abstrait au possible ou Au-delà du tachisme, ces conceptions deviennent immédiatement un « marqueur » pour toute une nouvelle génération d’artistes désireuse de « repartir à zéro » (pour reprendre l’expression forgée par Éric de Chassey et Sylvie Ramond pour leur exposition éponyme au musée des Beaux-Arts de Lyon en 2009).
Atlan, Wols, mais aussi Henri Michaux, qui l’incitera à s’intéresser au Zen, ou Simon Hantaï (avec lequel il organise les cérémonies commémoratives de la deuxième condamnation de Siger de Brabant en 1957) : Georges Mathieu incarne tant et si bien cette « nouvelle tendance » qu’il en devient l’animateur. En avril 1948, l’exposition collective « HWPSMTB » (acronyme des participants Hartung, Wols, Picabia, Stahly, Mathieu, Tapié et Bryen), qu’il élabore à la galerie Colette Allendy, marque la naissance officielle de l’art informel. Six mois plus tard, à la galerie du Montparnasse, il confronte les mêmes à Arshile Gorky, Willem de Kooning, Jackson Pollock, Ad Reinhardt, Mark Rothko et Mark Tobey. Pour historiques qu’ils soient, ces faits cadrent aussi mal avec l’hypothèse d’une école de Paris toute repliée sur elle-même qu’avec l’image d’un Georges Mathieu royaliste, réactionnaire et nationaliste.
Cinquante ans après l’« humiliation » subie par les artistes français à la Biennale de Venise, où Robert Rauschenberg fut préféré à Roger Bissière pour le Lion d’or à l’issue d’une magistrale opération de lobbying menée par Léo Castelli, le « concours de mythes » peut s’estomper, laissant l’histoire véritable de l’art émerger du brouillard simplificateur. Alors qu’une partie de l’art contemporain (la plus visible, la plus hégémonique, non seulement dans l’économie financiarisée, mais aussi dans celle, libidinale, des images) est devenue une industrie culturelle comme les autres, il est savoureux, ou affligeant, selon les tempéraments, de se rappeler combien des artistes-stars des années 1950 ou 1960 en France, comme Mathieu mais aussi bien Arman, Bernard Buffet, César ou Victor Vasarely ont pu être déconsidérés à cause précisément de leur succès populaire, par les mêmes conservateurs ou gardiens du temple qui encensent aujourd’hui Jeff Koons ou Takashi Murakami, Damien Hirst ou Olafur Eliasson, et dont la politique effrénée de produits dérivés contamine, voire remplace la créativité initiale.
À ce titre, le parcours d’un Georges Mathieu pourrait pourtant en faire rêver plus d’un, lui qui a placé dans l’imaginaire collectif tant d’images indélébiles, les affiches pour Air France (1967, plus d’un million d’exemplaires vendus), la pièce de dix francs (1974), le sigle d’Antenne 2 (1975) ou le timbre commémorant l’appel du 18 juin et la mort du Général de Gaulle (1980). Plus encore, lui qui a pressenti le potentiel de l’œuvre d’art comme catalyseur de formes d’existence inédites, mis en pratique avec l’architecte Jacques Couëlle pour la conception du nouveau village de Castellaras, dans le Var et, surtout, dans le projet « total » de l’Usine-Étoile, projetée en 1967 et inaugurée en 1972 à Fontenay-le-Comte. D’une superficie de 1500 mètres carrés, répartis en sept branches fuselées embrassant une ligne de production longue de 150 mètres, l’ensemble est saisissant, aérien, ultra-dynamique, futuriste même. D’une rare élégance, le bâtiment est farouchement antirationaliste (ce qui n’est pas rien, pour une usine), à l’image de son créateur, dont le grand conservateur François Mathey affirmait que « le premier, il a dénoncé la sclérose d’une culture confortable, le premier, il a fustigé les mythes d’emprunt qui conditionnaient la vision et la raison de l’Occident. »