Le scandale du vol non déclaré d’une œuvre acquise par l’État

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La Célébration du feu, une œuvre de Georges Mathieu peinte en 1981 et acquise par l’État au titre du « 1% culturel », a disparu durant l’été 2011 dans des locaux attribués en 2010 à la Faculté de Sciences et de Techniques (FST) dépendant de l’Université de Limoges (UNILIM).

Cette toile, initialement destinée à l’École Nationale Supérieure de Céramique Industrielle (l’ENSCI dont Georges Mathieu a également réalisé le sigle) et figurant dans leurs anciens locaux, a une taille de 1,3 m x 3,4 m et bien qu’achetée pour environ 12.000 € à l’époque peut être estimée aujourd’hui aux alentours de 150.000 €.

L’œuvre volée a finalement été restituée le 21 mars 2016. Le voleur ou receleur aurait appris dans les médias que l’œuvre était désormais recherchée activement et inscrite au fichier INTERPOL et se serait présenté par lui-même à la police. La restitution ne fait pas suite à une perquisition ou à un interrogatoire.

La récupération de l’œuvre n’a été rendue possible que par notre propre enquête, notre rôle de lanceur d’alerte et la médiatisation de notre combat. Sans notre courrier en juillet 2015, la justice n’aurait jamais été informée de cette disparition et la police judiciaire n’aurait pas été saisie. Sans notre action, l’Université de Limoges qui était informée dès 2012 de la disparition n’aurait jamais été poussée à porter plainte.

Le Comité Georges Mathieu a pour missions habituelles de délivrer les certificats d’authenticité, de préparer le catalogue raisonné, de promouvoir l’œuvre et de lutter contre les contrefaçons. Averti en 2014 de cette disparition par un ancien professeur de l’ENSCI, le Comité a décidé d’investiguer. En 2015, constatant l’absence de dépôt de plainte et l’inaction des institutions, le Comité a émis une cinquantaine de courriers et d’appels pour tenter de faire réagir les établissements concernés et l’institution judiciaire.

Nous avons constaté les dysfonctionnements suivants :

  • L’Université de Limoges, bien qu’informée dès janvier 2012 par des courriers de l’AAAE ENSCI (Association Amicale des Anciens Élèves de l’ENSCI), aussi bien sous la présidence de M. Jacques Fontanille que de Mme Hélène Pauliat, n’a pas porté plainte pendant quatre ans. Durant cette longue période, la Célébration du feu n’était pas inscrite aux fichiers d’œuvres disparues (TREIMA en France, INTERPOL à l’international) aurait facilement pu être revendue ou quitter le territoire. De plus, l’absence d’ouverture d’une enquête sur cette période génère le risque d’application d’un délai de prescription. Or la procédure de la Direction Générale des Patrimoines indique clairement — là où le sens commun devrait suffire — que toute disparition d’œuvre appartenant à l’État doit obligatoirement donner lieu à un signalement auprès des autorités compétentes dans les 18 heures au plus tard après la constatation.
  • L’Université de Limoges, pressée par nos soins de porter plainte, s’est limitée à un dépôt de main courante (normalement sans conséquence judiciaire) en juillet 2015 et n’a déposé plainte en novembre 2015 qu’après y avoir été incitée. Le procès-verbal du dépôt de main courante en juillet indique que la représentante de l’Université de Limoges a affirmé fallacieusement que l’ENSCI était propriétaire de l’œuvre et donc responsable du manque de vigilance, comme le confirme le procès-verbal : « L’ENSCI n’était pas venue chercher cette toile leur appartenant. »
  • La DRAC, informée par courrier en septembre 2012, s’est contentée de répondre en février 2013 en recommandant un dépôt de plainte sans le prendre à sa charge ni préciser quel établissement devait le faire, tout en reconnaissant « la notoriété de l’auteur » et « la valeur marchande potentielle » de l’œuvre. Contactée en juillet 2015 par la police, la DRAC avait indiqué que l’œuvre disparue ne figurait même pas dans son inventaire.
  • L’ENSCI, bien que n’étant plus responsable de ses anciens locaux à partir de septembre 2010, n’a pas pris l’initiative avant son déménagement de mettre l’œuvre à l’abri, emballée et enfermée dans un bureau comme cela lui avait été suggéré, alors qu’elle était accrochée à hauteur d’homme.

Après un an d’attente, confronté à des institutions qui se renvoyaient la faute, ne daignaient pas nous répondre ou nous menaçaient de poursuite pour diffamation, et constatant que l’enlisement de l’affaire ne posait problème à aucune des parties concernées, le Comité a décidé de rendre l’affaire publique début mars 2016.

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Nous demandons :

  • la condamnation du voleur ou du receleur, qui malgré la circonstance atténuante de la restitution s’est approprié durant quatre ans sans prévenir personne une œuvre du patrimoine de l’État (si l’œuvre a été restituée plutôt que détruite, cela tient sans doute au fait que certains auraient pu le dénoncer, ayant vu l’œuvre à son domicile) ;
  • la sanction du responsable administratif (à déterminer parmi le rectorat, l’université, la DRAC) qui aurait dû déposer plainte sans attendre quatre ans (si un délai de prescription devait s’appliquer au voleur l’administration concernée en serait responsable) avec, à défaut d’une poursuite judiciaire, une sanction disciplinaire (blâme, déplacement d’office, rétrogradation, révocation) pour négligence ;
  • la restitution de l’œuvre à l’ENSCI qui avait demandé à la conserver après son déménagement en 2010 (la DRAC avait alors refusé en laissant l’œuvre en libre service dans le bâtiment quasi déserté, puis après le vol avait autorisé l’ENSCI à récupérer le sigle de l’école acquis conjointement avec la toile), et dans tous les cas son exposition au public en conformité avec le principe du 1% artistique.

Plus largement, nous réclamons la mise en place par le ministère de la Culture de procédures strictes visant à juguler la déperdition du patrimoine de l’État, à vérifier régulièrement les inventaires et systématiquement lors des déménagements, à endiguer les disparitions volontaires ou involontaires d’œuvres ou d’objets, à blâmer les responsables administratifs n’ayant pas honoré leur devoir d’une gestion scrupuleuse.

Pour quelques affaires médiatisées et suivies de conséquences (la suspension et le placement en détention provisoire d’un sous-préfet ayant revendu une œuvre du Mobilier national présente dans une préfecture, trois ans de prison dont un ferme pour une préfète ayant subtilisé pour 15.000 euros d’objets du Mobilier national) combien d’autres sont laissées à l’abandon ? La liste des œuvres déclarées introuvables dans la base CRDOA ne représente qu’un sous-ensemble du problème. Les œuvres disparaissent jusque dans les ministères ou à l’Élysée. Environ 11% des pièces issues des musées nationaux et 19% des meubles du Mobilier national sont introuvables.

L’affaire présente démontre le laxisme d’un système qui n’accorde d’importance ni au patrimoine culturel ni au patrimoine de l’État appartenant pourtant à chacun d’entre nous.

Documents adressés à l’Université de Limoges et à la DRAC

Cliquez sur les images pour agrandir les documents.

  1. Courrier de l’AAAE ENSCI à l’Université de Limoges (M. Vincent Jolys) le 23 janvier 2012
  2. Courrier de l’AAAE ENSCI à l’Université de Limoges (Mme Hélène Pauliat) le 30 mars 2012
  3. Courrier de l’AAAE ENSCI à la DRAC (M. Philippe Geffre) le 20 septembre 2012
  4. Courrier de la DRAC à l’AAAE ENSCI le 11 février 2013
  5. Procédure édictée par la DGP (Direction Générale des Patrimoines) en cas de disparition d’une œuvre appartenant à l’État

La disparition de la Célébration du feu relayée dans les médias

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Droit de réponse de Mme Hélène Pauliat, Présidente de l’UNILIM

Nous avons reçu le 11 mars 2016 un courrier électronique de Mme Pauliat qui souhaite exercer un droit de réponse (concernant une version antérieure de cet article qui a évolué au fil de l’actualité) et menace de nous poursuivre en justice pour diffamation.

Je vous demande donc, par le présent courrier, de publier ce démenti sur votre site internet car l’université ne peut accepter d’être stigmatisée de la sorte par votre article et se réserve le droit de saisir la juridiction compétente si tel n’est pas le cas.

Nous jugeons qu’il s’agit là d’une tentative d’intimidation — peut-être le signe d’une fébrilité bien compréhensible — d’autant plus que ce droit de réponse ne s’applique pas aux sites Internet permettant aux utilisateurs de commenter les articles. Le décret d’application du 24 octobre 2007 (n°2007-1527)  stipule en effet : « La procédure prévue par le présent décret ne peut être engagée lorsque les utilisateurs sont en mesure, du fait de la nature du service de communication au public en ligne, de formuler directement les observations qu’appelle de leur part un message qui les met en cause. »

Or tous les articles du site Georges Mathieu sont publiés instantanément et en parallèle sur notre page Facebook officielle afin de permettre aux utilisateurs de les commenter. On peut le constater sur la publication concernée.

Néanmoins nous publions ci-dessous le « démenti » que Mme Pauliat tient à rendre public. Elle formule l’affirmation suivante :

L’Université de Limoges, contrairement à ce que vous affirmez, a entrepris les démarches nécessaires (outre les recherches dans les différents locaux) auprès du commissariat de police de Limoges. Tout d’abord, suite à un premier rendez-vous au commissariat, une main courante a été déposée le 8 juillet 2015 à 9h auprès d’un premier officier malgré notre demande de dépôt de plainte.

Ce que nous affirmons, c’est que « quatre ans après le constat de disparition par l’Université de Limoges, aucune action n’avait été entreprise par celle-ci, que ce soit une recherche, une enquête, un dépôt de plainte ni même une déclaration de vol ». Nous maintenons cette affirmation, car quatre ans après le constat de disparition, c’est-à-dire quatre ans après la fin de l’été 2011, cela correspond à l’été 2015. Or, lorsque nous avons contacté l’UNILIM en juillet 2015, son administration ne s’est prévalu auprès de nous d’aucun dépôt de plainte, ni d’aucune action de recherche ou d’enquête durant ces quatre années. On comprend bien par ailleurs qu’il eût été étrange de déposer une main courante en juillet 2015 si un dépôt de plainte ou une déclaration de vol avaient déjà été précédemment effectuées.

Mme Pauliat indique qu’une main courante avait été déposée en juillet 2015 malgré une demande de dépôt de plainte qui aurait été refusée. Malheureusement, la déclaration de main courante, dont nous disposons d’une copie, indique le contraire. En effet, la représentante de l’UNILIM ne pouvait prétendre souhaiter déposer plainte tandis qu’elle affirmait par ailleurs que l’UNILIM n’était pas légalement propriétaire de l’œuvre  : « L’ENSCI n’était pas venue chercher cette toile leur appartenant. »

En réponse à cette interprétation — nous n’avons pas vocation à trancher en faveur de l’un ou l’autre de ces deux établissements — la Directrice de l’ENSCI, Mme Claire Peyratout nous avait indiqué par courrier sa propre version des faits :

L’ENSCI s’était en 2010 préoccupée du sort du tableau lors du déménagement de l’école sur le site du Centre Européen de la Céramique. En effet, la directrice en place à l’époque avait saisi la DRAC pour obtenir une réponse sur le lieu d’exposition du tableau. La DRAC avait alors confirmé qu’elle devait rester dans le bâtiment initial. Le bâtiment qui abritait l’ENSCI a été remis à l’Université en novembre 2010, et la disparition de l’œuvre a été constatée au retour des vacances d’été, soit fin août 2011. L’ENSCI n’étant plus responsable des locaux au moment des faits, l’établissement n’a aucune légitimité à porter plainte.

Revenons au droit de réponse de Mme Pauliat, qui poursuit ainsi :

Le 13 novembre de cette même année, l’Université a été convoquée par un nouvel officier afin, cette fois, de recevoir un dépôt de plainte. Il a été stipulé à l’Université que l’œuvre d’art allait être inscrite au fichier national des œuvres volées.

Nous nous étonnons, ayant été les initiateurs de la recherche de l’œuvre, de ne pas avoir été informés de la convocation du 13 novembre 2015 pour dépôt de plainte, ni de l’inscription prochaine au fichier national des œuvres volées. Dont acte, nous pouvons confirmer qu’à la date du 11 mars 2016 l’œuvre figure dans le fichier international des œuvres volées (INTERPOL), bien qu’elle ne l’ait pas été pendant plus de quatre ans.

Mme Pauliat conclut :

De plus, vous insinuez que l’Université, ou du moins sa direction, aurait pu être coupable de ce vol, ce qui constitue une diffamation.

L’opinion visée par cette accusation est la suivante : « […] ce qui nous semble être un manquement coupable — à défaut d’être complice — de la part du Directeur de cet établissement à l’époque […] ». Au risque d’emprunter un ton docte, nous ferons remarquer à Mme Pauliat que, comme le confirmera tout bon dictionnaire français, la préposition « à défaut de X » signifie « étant donné qu’il n’y a pas de X ». Notre proposition peut donc être paraphrasée comme suit : « […] ce qui nous semble être un manquement coupable, étant donné qu’il n’est pas complice, de la part du Directeur de cet établissement à l’époque […] ».

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